7 février 1880

Paris, 7 février 1880, samedi matin, 8 h.

Somme toute, mon grand bien-aimé, nous n’avons pas trop à nous plaindre l’un et l’autre de notre nuit, il me semble ? Ce dont je me plains pour ma part, c’est d’avoir manqué le coche hier et par le plus beau temps du monde. Aujourd’hui, sous prétexte de dégel, il tombe une petite bruine glaciale et qui convertit notre avenue, d’ordinaire si nette, d’un cloaque de boue dont bêtes et gens ont de la peine à se tirer. Voilà, vilain paresseux, ce que vous avez gagné à ne pas profiter du beau soleil d’hier. Sans compter que vous me forcez à vous scier depuis le matin jusqu’au soir de mes sollicitations, non écoutées, et de ma mnémonique ^a [1] inutile. Il va falloir pourtant vous exécuter aujourd’hui pour vos deux photographies que Mme A. Daudet attend pour sa tombola des pauvres. Sans parler d’un tas de présidences d’honneur qui implore votre acceptation. Plus les billets hystériques et énigmatiques d’un nombre monstrueux de cocottes sur le retour et sans retour possible, même, retournées. Tout cela devrait vous sortir de votre apathie et piquer au moins votre curiosité. Quant à moi j’en suis embêtée jusque dans la moëlle des os, ce qui ne m’empêche pas de vous adorer.
Je suis au sec de toile [2] depuis hier et je demande de l’argent ! de l’argent ! de l’argent !!!!

[Adresse]
Monsieur Victor Hugo

BnF, Mss, NAF 16401, f. 38
Transcription de Blandine Bourdy et Claire Josselin

a) « mnémonyque ».