23 décembre 1849

23 décembre [1849], dimanche matin, 9 h. 

Bonjour, mon tout aimé, bonjour le béni de mon âme, bonjour. Je baise tes chers petits pieds avec respect et ton beau front sublime avec vénération. Tout ce que l’intelligence la plus développée, tout ce que le cœur le plus passionné peut donner d’admiration et d’amour au génie le plus divin, à l’homme le plus beau et le meilleur, je le répands^a sur tes pieds, mon homme Dieu, et je fais de mon âme l’encensoir où brûlent et se consument devant toi toutes les tendresses les plus pures et les plus parfumées. J’ai la dévotion et la sainteté de l’amour poussées à leurs dernières limites. Il y a des moments où je voudrais être morte pour réfugier mon âme dans la tienne et ne faire qu’un avec toi, mon Victor bien-aimé. Je voudrais trouver des mots nouveaux qui n’aient jamais servi à personne pour te dire mon amour. Malheureusement, je suis trop bête pour en créer. Force m’est donc de me servir des mots de tout le monde pour exprimer ce que j’éprouve à ma grande humiliation et à mon grand regret. Que tu es bon et charmant d’être revenu hier au soir. Je le désirais de toute mon âme sans oser l’espérer. Aussi, ai-je été bien heureuse en te voyant. C’est au point que l’algarade de ce petit sot qui m’avait d’abord impressionnée et indignée au dernier point ne m’a plus parue qu’une stupide bouffonnerie dans laquelle ce stupide petit crapaud coassait les plus plates et les plus visqueuses inepties [1]. Grâce à ta présence, ma^b colère s’est changée en éclat de rire et ma nuit solitaire en rêves charmants pleins de fleurs et de baisers.

Juliette

MVHP, Ms a8312
Transcription de Joëlle Roubine et Michèle Bertaux

a) « répand ».
b) « m’a ».