12 décembre 1849

12 décembre [1849], mercredi soir, 8 h. 

Sois beau, sois aimable, sois éblouissant, sois heureux, mon adoré. Si tu peux être tout cela sans trahir notre amour, ce qui me paraît, pour la dernière chose du moins, assez difficile. J’ai vu avec chagrin que tu avais négligé d’emporter mes deux pauvres petits gribouillis. Si les lettres d’une mère sont une bonne cuirasse contre les balles [1], les lettres d’amour d’une pauvre femme qui t’adore auraient^a peut-être été un bon préservatif contre les coquetteries d’une femme sans cœur. Il me semble que j’aurais été moins loin de toi si j’avais su mes deux petites lettres dans ta poche. Enfin, tu n’y as pas songé pourvu que cet oubli n’en n’entraîne pas d’autres plus graves, c’est tout ce que je demande au bon Dieu pour le moment. Tu penses bien que mon rhume de cerveau, qui existe plus que jamais, n’a été pourtant qu’un prétexte pour me dégager du dîner de ce soir. Il m’aurait été doublement pénible d’être ailleurs que chez moi ce soir avec la pensée de M^lle Rachel jouant pour toi seule [seul  ?] le rôle de la femme séduite, prise et éprise par vos beaux yeux, votre grand génie et le reste…. Surtout le RESTE. Je suis si malheureuse et si jalouse que j’en perds le peu de raison que j’ai. Je t’en demande pardon et je t’aime plus que de toutes mes forces.

Juliette

MVHP, Ms a8589
Transcription de Joëlle Roubine et Michèle Bertaux

a) « aurait ».