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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 décembre [1849], samedi matin, 8 h. 

Bonjour, mon tout bien-aimé, bonjour, je te baise depuis le moment où je t’ai quitté jusqu’au moment où je te verrai. Dieu veuille que ce soit bientôt. Tu as su par Vilain hier que je suis allée à La Vie de bohème [1], mais ce que tu ne sais pas c’est la résistance que je lui ai faite pour n’y pas aller dans l’espérance de te voir. D’abord, j’avais refusé de dîner chez ma marquise [2], j’ai refusé de dîner chez les Vilain. Tout cela pour ne pas manquer l’occasion de te voir une minute. Enfin, j’ai cédé à l’insistance de ce brave sculpteur ne pouvant plus faire autrement sans le désobliger. Je suis donc allée à cette pièce, avec le regret de ne pas vous avoir vu auparavant… Je m’y suis amusée, comme on s’amuse quand on a une préoccupation dans l’esprit et un désir pas satisfait dans le cœur. Du reste, la pièce est très jolie et la fin en est poignante à ce point que j’en suis revenue les yeux gros et rouges. Il était minuit lorsque je suis rentrée. Outre le regret de ne pas t’avoir vu de la soirée, j’avais celui de penser que ces pauvres Vilain dépensaient leur argent mal à propos et que je les y aidais involontairement. Les places ont été prises au bureau et nous sommes allés et revenus en voiture. Tu vois que cela n’était pas très raisonnable et qu’il aurait mieux valu t’attendre au coin de mon feu surtout si tu devais y venir. Oh ! Oui, cela vaut mieux que tout ce qu’on appelle plaisirs, distractions, amusements. T’attendre avec l’espoir de te voir c’est la moitié du bonheur. Te voir, c’est le bonheur tout entier. Te baiser, c’est le paradis.

Juliette

MVHP, Ms a8310
Transcription de Joëlle Roubine et Michèle Bertaux


8 décembre [1849], samedi soir, 10 h. 

Je ne veux pas me coucher sans te dire un petit bonsoir, mon doux amour bien aimé, et sans t’avoir remercié de m’avoir attendue dix minutes et de la bonne pensée qui t’a fait me dire de suivre notre itinéraire accoutumé dans le cas où la séance serait finie avant l’heure d’aller chez Robelin. Rien que cette bonne intention de ta part a suffia pour me rendre notre séparation moins désagréable et le chemin moins long. Je n’osais pas me retourner mais mon oreille interrogeait tous les pas dans l’espoir d’y découvrir le tien. Cette occupation a duréb jusqu’à ma porte et m’a empêchée de sentir la fatigue de la route. Malheureusement elle m’a quittée au seuil de ma porte. Mais le souvenir de ta bonne intention dure encore et me rend ton absence moins insupportable. Amuse-toi bien, mon Toto, pense à moi, sois heureux et tâche de venir de bonne heure demain pour que j’aie le temps de te voir avant qu’il n’y ait personne chez moi. Je t’attends avec tout ce que j’ai de meilleur, de plus reconnaissant et de plus doux dans le cœur. Jusque-là, je te prie d’être bien raisonnable et de ne pas te coucher trop tard. Bonsoir, amour, je vais faire un somme en vous attendant. Tâchez qu’il ne soit pas aussi long que celui de la belle au bois dormant.

Juliette

BnF, Mss NAF 16367, f. 343-344
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « a suffit ».
b) « durée ». Juliette Drouet avait d’abord écrit « m’a accompagnée » avant de raturer et d’écrire en surcharge.

Notes

[1Pièce en cinq actes de Théodore Barrière et Henri Murger, créée le 22 novembre 1849 au Théâtre des Variétés. C’est l’adaptation, par l’auteur lui-même assisté d’un dramaturge, des Scènes de la vie de bohème. La pièce connut un grand succès. La fin montre la maladie et la mort de Mimi.

[2Mme de Montferrier.

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