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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 octobre [1849], dimanche matin, 8 h.

Bonjour, mon sublime bien aimé, bonjour, je baise tes pieds avec dévotion et toute ta chère petite personne avec adoration. Comment vas-tu ce matin, mon pauvre bien aimé ? Bien enroué encore et bien fatigué n’est-ce pas ? Si j’avais été chez toi hier je t’aurais fait avaler un lait-de-poule sucré avec de la cassonade brute et je suis sûre que cela t’aurait guéri. Malheureusement, à cette distance je ne peux te soigner qu’avec mes regrets et ma sollicitude, ce qui

2e feuille, 21 octobre [1849], dimanche matin, 8 h.

ne te soulage pas beaucoup. Encore, si en t’imitant je pouvais diminuer ton mal ce serait charmant, mais c’est qu’il n’en est rien et je m’enroue et je m’enrhume sans aucun bénéfice pour toi, ce qui est assez bête. Du reste, je suis dans une colère ROUGE contre ces stupides blafards de l’Assemblée. Quand donc pourrai-je EXERCER MON DROIT POLITIQUE pour dire à tous ces crétins là ce que j’ai sur le cœur ? Avec quel bonheur je leur aplatirais leur affreux nez sur leur pupitre, avec quelle énergie je leur enfoncerais jusqu’aux yeux leur affreux bolivar gras au risque de compromettre la sécurité de leurs lunettes troubles comme leur esprit et leur conscience.

Juliette

MVHP, Ms a9057
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine


21 octobre [1849], dimanche matin, 10 h.

Je suis triste de ne pas te voir, mon bien-aimé, je suis tourmentée de te savoir souffrant et par-dessus tout cela j’ai une indignation profonde de ce qui s’est passé hier à cette absurde Assemblée [1]. Je sais bien que pour toi cela ne te fait absolument rien au point de vue personnel, ce qui est parfaitement juste et c’est ce qui fait précisément ta grandeur, ta force et ta gloire, mais moi je suis blessée dans mon cœur et dans ma politique par la mauvaise foi et le crétinisme de ces gens violents, jaloux et haineux à l’excès. Je voudrais leur cogner tous

2ème feuille, dimanche matin, 10 h. ¾

leurs affreux pifsa les uns contre les autres. Très sérieusement, mon adoré, je suis honteuse au fond de l’âme des turpitudes auxquelles tu es en butteb de la part de tous ces gens-là selon que tu es dans la vérité, dans l’abnégation et dans le dévouement en tout et pour tous. Ma politique se révolte devant toutes ces lâchetés et toutes ces ingratitudes, mon Victor bien aimé, mon sublime adoré. Si l’on pouvait faire une arme de sa colère je crois que tous ces gens seraient déjà morts à l’heure où je te parle, tant je suis furieuse de ce résultat pourtant bien prévu par toi. Cela m’est égal d’être grotesque et ridicule dans mon impuissante rage et je continue de haïr tous ces goitreux de toute la force de mon admiration et de mon amour pour toi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 275-276
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse
[Blewer, Souchon]

a) « piffs ».
b) « en but ».

Notes

[1Le 19 octobre 1849, « la question romaine » est une nouvelle fois débattue à l’Assemblée. Victor Hugo, qui rejette la demande de crédit faite pour l’Italie, attaque le gouvernement de Pie IX et sa politique violemment réactionnaire. Dans son discours, il cherche à opposer la bulle papale et le Prince-Président, qui en août 1849 avait envoyé au colonel Edgar Ney une lettre dans laquelle il subordonnait le rétablissement du pape à l’exécution de mesures garantissant la liberté de la République romaine. En voulant inciter Louis-Napoléon Bonaparte* à assumer la politique libérale contenue dans la lettre au colonel, Victor Hugo rompt avec le parti de l’Ordre. « Messieurs, le discours que vous venez d’entendre a déjà reçu le châtiment qu’il méritait dans les applaudissements qui l’ont accueilli… », répond immédiatement Montalembert. Victor Hugo déclare dès le lendemain : « Ce châtiment, je l’accepte, et je m’en honore ». Dès le 20 octobre 1849, Victor Hugo est accusé d’apostasie par la presse conservatrice. La demande de crédit sera approuvée à 460 voix contre 180. (Hovasse, p. 1076-1078 ; Stein, p. 45-47.)

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