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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 octobre [1849], mardi matin, 8 h.

Bonjour, mon cher petit homme trop aimé, bonjour. Serai-je plus chanceuse aujourd’hui qu’hier ? Je n’ose pas l’espérer car rien ne me réussit moins que les désirs que je forme pour vous voir et pour être avec vous quelques minutes par jour. Il n’y a pas jusqu’au bonheur de vous voir et de vous entendre à l’Assemblée qui ne me soit interdit…….. par la questure, cette Chaumontel législative. Aussi je suis si profondément découragée que je n’ose même plus faire de vœux pour rien. Je me résigne à ma maussade et stupide vie

2e feuille, 16 octobre [1849], mardi matin, 8 h.

sans prendre la peine de protester contre cette injustice de la destinée. À quoi bon d’ailleurs protester ? Est-ce que je ne subis pas le sort de toutes les pauvres femmes qui ont mis tout leur bonheur dans un seul amour ? J’expie cette imprévoyance par des années de délaissement et d’oubli, cela ne pouvait pas être autrement et je suis mal venue à m’en plaindre. Mon Victor adoré, je t’aime. Je suis une veille grognon très difficile à contenter, en somme je suis la plus heureuse des femmes puisque je t’aime. Autrefois, j’étais heureuse parce que nous nous aimions, maintenant c’est plus singulier mais il faut que je sois heureuse tout de même. Je tâcherai d’obéir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 273-274
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse


16 octobre [1] [1849], mardi soir, 7 h. ¾.

J’ai le cœur gros, mon Victor, de tout ce qui m’arrive. Quand je pense à la peine que je me donne tous les jours pour passer quelques minutes avec toi, à toute la fatigue et à tous les soucis que cela me cause, et quand je considère les résultats de mes démarches j’en suis profondément découragée. Tout tourne contre moi. On dirait que tu te mets de moitié avec le guignon pour faire de ma vie une longue mystification et une éternelle dérision. Les choses en sont venues au point que je ne veux plus, que je n’ose plus lever un doigt dans l’intention de te voir de peur que ce geste inoffensif ne fasse surgir tout à coup des montagnes de complications et d’empêchements. Je prendrai le parti de ne plus bouger de chez moi, de ne plus t’attendre, de ne plus t’aimer, de ne plus respirer, de ne plus vivre. Peut-être y réussirai-je mieux que de te désirer avec cette désolante persévérance. Je sens que je te gêne, que je t’obsède, que tu ne m’aimes plus qu’à travers ta bonté, c’est-à-dire à travers la pitié que je t’inspire. Cette pensée me rend folle et me fera prendre quelque résolution extrême. Ce n’est pas une menace, mon adoré, c’est un avertissement que je crois devoir te donner afin que tu ne soisa pas surpris quand cela arrivera.

Juliette

Yale
[Barnett et Pouchain]

a) « soit ».

Notes

[1Victor Hugo est invité à dîner par le président de la République, Louis Napoléon Bonaparte.

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