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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 août [1849], lundi matin, 6 h.

Bonjour, mon aimé, bonjour, mon bien, mon amour, ma joie, mon âme, bonjour. Tu n’as donc pas pu revenir hier au soir ? J’espérais que tu t’étais aperçu de la tristesse amasséea dans mon pauvre cœur par la pensée de ne pouvoir pas te suivre aujourd’hui à Versailles et à Saint-Cloud [1] et que tu voudrais la dissiper et la rendre moins amère en venant me voir un tout petit moment après ton dîner. Dans cet espoir j’avais retenu Vilain et Eugénie chez moi jusqu’à onze heures et demieb. Enfin il a bien fallu me coucher le cœur plein de regrets et de désappointement. Me voici au matin et je ne me sens pas le cœur plus gaic que la veille. Au contraire, car je vois avec un profond chagrin qu’il me faudra probablement renoncer à te conduire à Villequier à cause de la présence à Paris de ma pauvre sœur qui fait le voyage exprès pour venir chercher auprès de moi une consolation au dernier malheur qui l’a frappée. Dans cette douloureuse circonstance il me paraît impossible de m’absenter surtout puisqu’elle ne séjournera que très peu de temps [2]. Juste celui que j’espérais passer avec toi, après lequel je soupire depuis deux ans et pour lequel je donnerais la moitié de ce qui me reste à vivre. La providence joue avec moi à ce jeu cruel de l’anguille qu’on suspend au-dessus de l’eau : assez près pour qu’elle y touche, trop loin pour qu’elle y plonge. C’est peut-être amusant pour elle, mais c’est bien féroce pour moi.

Juliette

Leeds, BC MS 19c Drouet/1849/56
Transcription de Véronique Heute assistée de Florence Naugrette

a) « amassé ».
b) « demi ».
c) « gaie ».


27 août [1849], lundi matin, 9 h.

Je ne suis pas plus heureuse que ce matin, mon petit homme, et par conséquent pas plus aimable ni plus gaie. Si je creusais même un peu au fond de ma pensée j’y trouverais un bon petit chagrin s’ébauchant déjà en façon de désespoir. Je trouve tout ce qui m’arrive si cruellement dérisoire que je suis tentée de jeter le manche après la cognée une bonne fois pour toutes. Et comment en effet supporter de sang-froid ce qui m’arrive ? Je n’ai qu’une sœur au monde laquelle ne sera jamais venue qu’une seule fois à Paris dans l’intention et dans l’espoir de trouver dans mon amitié une diversion et un adoucissement à l’affreuse douleur qui la ronge. Elle n’a que quelques jours à rester avec moi et le hasard, cet infâme hasard qui me poursuit sans cesse, l’amène justement au moment où je pourrais être avec toi [3] ! Vraiment quelle quea soit mon habitude de déception et de mystification, celle-ci dépasse tout mon courage, toute ma patience et toute ma résignation. Aussi, mon adoré, je t’assure que la vie me tient bien peu au cœur et qu’il ne faudrait pas trop m’en prier pour me faire quitter la partieb. Et pourtant je t’aime comme jamais homme n’a été et ne sera jamais aimé par une femme comme tu l’es par moi.

Juliette

BC MS 19c Drouet/1849/57
Transcription de Véronique Heute assistée de Florence Naugrette

a) « quelque ».
b) « parti ».

Notes

[1Victor Hugo y était régulièrement invité par le roi Louis-Philippe.

[2La sœur de Juliette Drouet, son beau-frère et son neveu arrivent à Paris le 28 août 1849 (Lettres familiales, édition citée, p. 28-29).

[3La sœur de Juliette Drouet, son beau-frère et son neveu arrivent à Paris le 28 août 1849 (Lettres familiales, p. 28-29). La famille de Hugo est partie en villégiature.

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