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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 août [1849], mardi matin, 6 h. ½

Bonjour, mon doux bien-aimé, bonjour, mon amour adoré, bonjour. Tu n’es pas revenu hier au soir, ce qui est cause que j’ai passé une nuit très agitée. Il m’est impossible quand je ne t’ai pas vu à mon habitude de ne pas prêter l’oreille à tous les bruits même à travers mon sommeil aussi ce matin j’étais sur pied avant cinq heures. Je suis déjà en quête de savoir quand je te verrai mais mon impatience m’empêche de faire des conjectures et d’établir des priorités raisonnables. À mon compte tu devrais venir tout de suite et ne t’en aller pas. Tu vois, mon bien-aimé, si je suis dans le vrai et dans le possible. Du reste je ne suis entourée que de morts et de mourants du choléra. Il y a trois jours c’était un jeune homme de vingt-cinq ans, marié depuis six mois et logeant en face de moi dans le petit bouge vert. Aujourd’hui c’est la femme d’un tambour de la légion au n° 41. Tous les deux morts du choléra à ce qu’on assure. Il paraît qu’il y a d’autres malades encore dans la rue. Cela ne m’effraie pas pour moi mais je voudrais ne plus entendre parler de cette hideuse et traître maladie. En attendant je te supplie d’être prudent, de surveiller ton régime et d’éviter tous les refroidissements. En te recommandant ta chère santé, mon bien et ma joie, je te recommande ma vie même.

Juliette

MLVH, Bièvres, D 21 5 LASVHR/VH
Transcription de Gérard Pouchain


21 août [1849], mardi soir, 9 h.

Nous ne sommes convenus de rien en nous quittant, mon doux adoré, si bien que je ne sais pas si je te verrai ce soir ou demain matin ? Hélas ! Je crains bien que ce ne soit ni l’un ni l’autre et qu’il ne me faille attendre vingt-quatre heures avant de revoir ton noble et doux visage. Je suis triste de penser que je n’ai même pas eu le temps de te serrer la main ce soir ni prendre dans ton charmant sourire le courage et la patience dont j’ai besoin pour arriver à demain sans trop d’ennuis et de découragement. En te quittant, je suis allée chez les Vilain que j’ai trouvés à table et très munis de toutes sortes de billets et n’ayant pas besoin des tiens. Je voulais presque te le renvoyer ; mais, comme on avait prévenu Vilain qu’on avait donné des billets roses deux fois plus que la salle n’en pourrait contenir, j’ai trouvé inutile de contribuer pour ma part à un encombrement dont je serais la première victime, ce qui fait que j’ai gardé le billet quitte à te le rendre si tu viens et s’il peut réserver les deux jours suivants. Je t’ai envoyé ton gilet à l’heure dite, bien enveloppé dans du papier avec les lacets disposés au milieu comme tu le désirais. On l’a remis à ton domestique avec recommandation de ne pas le chiffonner. J’espère qu’il te parviendra en bon état. Seulement, je regrette d’avoir pensé trop tard à y joindre une paire de chaussettes et 1 mouchoir. Si tu viens ce soir, tout peuta se réparer, mais je n’ose pas l’espérer. En attendant, je t’adore.

Juliette

MVHP, Ms a8269
Transcription de Joëlle Roubine et Michèle Bertaux

a) « peu »


21 août [1849], mardi soir, 9 h. ½

Comme je ne veux pas être en retard demain, mon Toto, ni avec mon amour ni avec mon plaisir, je vous gribouille d’avance mes deux feuilles de papier. Je sais bien que vous vous passeriez à merveille de cette exactitude et de cette ponctualité rigoureuse, mais moi je n’ai pas pour moi cette admirable indifférence qui me ferait trouver très bien ce qui serait très mal au point de vue de mon amour. Aussi, pour ne pas manquer à mon devoir envers mon cœur, je prends les devants dès ce soir. Je vois bien que je ne te verrai plus maintenant qu’à la salle Sainte-Cécile [1], mais je suis si désireuse de te voir partout et surtout chez moi que je trouve la privation un peu longue d’ici à demain. Encore, si je pouvais espérer que tu penseras quelquefois à moi d’ici là, le temps me paraîtrait peut-être moins long, mais il m’est difficile de me faire cette illusion surtout quand je sais tout ce que tu as à faire d’ici là. Enfin, je tâche de me faire de la résignation et du courage en songeant au bonheur que j’aurai en t’écoutant demain et je ne me trouve plus si à plaindre. C’est donc du fond de l’âme et avec ce que j’ai de plus doux et de plus tendre dans le cœur que je te dis : bonsoir, Toto, bonsoir, mon cher petit Toto, dors bien, ne te couche pas trop tard et ne te fatigue pas avec excès, ménage-toi pour ton triomphe de demain et aime-moi si tu peux chemin faisant.

Juliette

MVHP, Ms a8270
Transcription de Joëlle Roubine et Michèle Bertaux

Notes

[1Le lendemain, Hugo prononce un discours au Congrès de la Paix dont il est le président.

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