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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 mars 1854

Jersey, 12 mars 1854, dimanche après midi, 4 h.

Je suis vaincue par le mal de tête, mon pauvre bien-aimé, et c’est tout ce que je peux faire que de te donner tout mon cœur dans ce seul mot : je t’aime. Tous ces sursis successifs m’ont auxa trois quarts tapnérisée [1] si bien qu’aujourd’hui je ne sais que j’existe que par l’excès de la souffrance. Je compte sur ton départ définitif pour m’achever tout à fait. En attendant j’agonise de mon mieux.
J’ai vu tout à l’heure toutes les citoyennetés Guay. Je ne sais si je me trompe mais il m’a semblé que la coqueluche de leur enfant était un prétexte pour refuser mon dîner. Leurs scrupules de farouches démocrates leur fontb trouver de la corruption dans un gigot rôti. Je ne les blâme pas et je les regrette médiocrement au point de vue de l’esprit. Tous ces braves gens ne sont pour moi que des instruments plus ou moins grossiers sur lesquels mon âme chante son hymne d’amour et d’admiration mais ma mélomanie amoureuse ne se rebute pas pour si peu et ce que Paganini faisait sur une seule corde mon cœur le fera sur un seul Claude Durand. Telle est ma force instrumentale. Guay m’a prié de te demander sa lettre à Nadaud dont Cauvet doit lui donner l’adresse à Londres. Quant à moi, j’ai rassemblé tout mon courage pour écrire à Julie, je n’ai pas voulu écrire l’adresse, pensant qu’il valait mieux que ce fût toi qui l’écrivît puisqu’elle doit passer par les mains de Schœlcher. Maintenant, mon adoré bien-aimé, je suis tout entière livrée à mon mal de tête et Dieu sait qu’il n’y met pas de discrétion. Si tu étais bien inspiré, tu viendrais me partager avec lui, je t’en serais bien reconnaissante et peut-être même qu’à nous deux nous finirions par flanquer ce maudit hôte à la porte. Tout cela, mon cher petit homme, n’est pas bien attrayant, je le sais, mais que veux-tu que je fasse toute seule ? J’attends ta réponse et ta personne avec une tendre et douloureuse impatience et puis je t’aime et puis je te désire et puis je t’adore et puis je bisque et puis je rage et puis je souffre. Sur ce, baisez-moi à fond, monstre d’homme, et avisez-vous de me trahir et puis vous verrez de quelle Juju il retourne.

BnF, Mss, NAF 16375, f. 97-98
Transcription de Chantal Brière

a) « au ».
b) « fait ».

Notes

[1Mot inventé par Juliette sur le nom du condamné à mort Tapner.

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