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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 juin 1849

12 juin [1849], mardi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon bon petit homme, bonjour, mon tout bien-aimé, bonjour. Comment vas-tu ce matin ? Moi je vais très bien et je t’aime encore mieux, ce qui est un bon signe. Cependant j’avoue que j’ai été volée dans ma séance d’hier et que j’espérais voir un peu plus de votre figure que de votre dos. Cependant, à la rigueur, j’aime mieux cela que rien. Je l’aime tout à fait plus même et je consentirais à avaler tous les jours l’éloquence de M. Ségur d’Aguesseau à la condition de voir le contraire de votre nez pendant six heures d’horloge. Voilà, mon petit homme, jusqu’où le fanatisme de votre chère petite carcasse de représentant [1] peut me pousser. Je ne vous en dis pas davantage. Cet exemple suffit pour juger de quoi l’esprit de parti d’une Juju est capable.
Dans ce moment-ci on crie à tue-tête dans la rue : Le Peuple [2]. La grrrrande séance d’hier faut voir comme il est intérrrrressant aujourd’hui, Le Peuple, 15 centimes, et tous les gens de ma rue et de ma maison l’achètenta avec fureur. Pourtant il me semble que le vent n’est pas à l’émeute si j’en juge d’après la tranquillité de ma rue qui est un assez bon thermomètre de l’agitation populaire. J’espère donc que tout se passera encore cette fois tranquillement et que je n’aurai pas à ceindre mon grand sabre.

Juliette

Leeds, BC MS 19c Drouet/1849/44
Transcription de Véronique Heute assistée de Florence Naugrette

a) « l’achète ».


12 juin [1849], mardi, midi ½

C’est à ne pas croire, mon amour, mais c’est pourtant bien vrai, ma servarde [3] est encore en congé ; toujours sous le prétexte de voir son frère, qui n’a pas voulu être venu et près de Paris sans y entrer et qui aa fait son invasion hier au soir à 5 h., ainsi que le constate une lettre de son cousin, venue par la poste ce matin, qui lui dit de me prier de la laisser aller dîner avec eux aujourd’hui. Ce à quoi j’ai consenti comme tu peux bien le penser. Il est vrai que je n’ai rien à dîner et qu’il faudra que j’aie encore recours à la cuisine d’Eugénie à moins que tu ne t’y opposes, ce qui ne me sera pas difficile, car elle n’est pas prévenue. Voilà, mon amour, ce qui s’est passé depuis ce matin. J’espère que cela touche à sa fin et que ce pauvre [bouvier  ?] d’occasion s’en ira demain comme on l’annonce dans la lettre d’avis à Suzanne. C’est donc un peu de patience à avoir. D’ailleurs la pauvre fille n’en abuseb pas, car depuis plus de dix ans qu’elle est chez moi voilà la première fois qu’un membre de sa famille vient la voir. Cher adoré, j’ai pensé que cela ne te contrarierait pas et je lui ai donné campos [4] tout de suite, ce dont elle a profité avec enthousiasme. Moi je profite de rien et de tout pour t’aimer davantage.

Juliette

BC MS 19c Drouet/1849/45
Transcription de Véronique Heute assistée de Florence Naugrette

a) « à ».
b) « n’abuse ».


12 juin [1849], mardi après-midi, 1 h.

Je suis prête et archi prête, mon Toto. D’abord il le FÂÂÂLLAIT pour laisser aller la Suzanne à ses amours de famille. Je m’attends à t’attendre longtempsa, mais je ne m’en effraye pas pour la bonne raison que c’est passé à l’état habitude. C’est tellement vrai que lorsque je suis avec toi je t’attends encore en prenant l’avance sur ton absence toujours trop près de mon bonheur. Comment vas-tu, mon adoré ? Je ne suis pas inquiète et pourtant je ne suis pas tout à fait tranquille. Tant que cette affreuse maladie [5] sera à Paris, je ne respirerai pas à mon aise. Cela tient à ce que je te sais imprudent et assez dédaigneux des soins de ta propre conservation. Peut-être que si tu étais plus [ami  ?] de toi-même que je m’inquiéterais moins et encore je ne sais pas. Cher adoré, sois prudent, ne passe pas brusquement du chaud le plus intense au froid le plus vif et à l’humidité. Tu sais que ce sont surtout ces changements brusques de température qui sont funestes. Je t’en supplie, mon bien-aimé, ne t’y expose pas sans motifs et avec cette coupable insouciance que tu apportes à tout ce qui est ta santé. Pense à moi et tu auras pitié de toi. Je t’adore.

Juliette

Leeds, BC MS 19c Drouet/1849/46
Transcription de Véronique Heute assistée de Florence Naugrette

a) « long-temps ».

Notes

[1Le 13 mai 1849, Victor Hugo a été élu à l’Assemblée législative.

[2Le Peuple : journal de la République démocratique et sociale, dont le premier numéro sort le 1er novembre 1848. Il remplace Le Représentant du peuple (1847-1848). L’un de ses fondateurs est Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865), député à l’Assemblée constituante en 1848, théoricien politique et créateur du système mutualiste. Hebdomadaire jusqu’au n° 5, le journal devient quotidien jusqu’au n° 206 du 13 juin 1849. Par la suite, il devient La Voix du peuple (1849-1850).

[3Suzanne Blanchard est au service de Juliette Drouet depuis le printemps 1839.

[4« Campo » : repos, délassement.

[5Depuis le début du mois de mars 1849, une épidémie de choléra touche la France. Elle durera jusqu’en septembre 1849 et fera plus de seize mille morts.

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