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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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11 février [1838], dimanche après-midi, 1 h. ½

Bonjour, mon cher bien-aimé, comment vont tes yeux ? Comment va toute ta personne adorée ? Vous aviez donc répétition ce matin que vous n’êtes pas venu déjeuner avec moi ? Je vous attendais cependant bien, mon petit homme. Je ne t’en veux pas, mon Toto, je te fais seulement remarquer que nous sommes peu souvent ensemble. J’ai envoyé chez Mlle François ce matin. Elle a accepté ma proposition avec des rugissements de joie, elle faisait de l’écume et des bonds [1]. Et moi j’aime mieux son enthousiasme que la fétide stupidité de mon esclave. Je vous écris tout de suite une grosse lettre parce que d’ici à tantôt je n’aurai que le temps juste de m’apprêter parce que je veux être tout à fait au lever de rideau. À propos, et ma loge ? J’espère que tu l’as ? Morte ou vive, je la veux. D’abord je ne suis pas femme à me passer deux fois de suite de mon Hernani, de mon bonheur. Je compte donc sur toi à la vie, à la mort pour ce soir. Il a fait un joli temps ce matin, voime, voime, un fort joli temps. Pauvre adoré, tous les soirs, quand tu m’as quittée, j’ai un besoin, une envie de t’écrire à laquelle j’ai toutes les peines du monde à résister. Il me semble que je ne t’ai pas dit le quart des choses que j’avais à te dire. Il me semble que je n’ai pas assez profitéa de ta présence adorée pour te donner l’amour et les caresses qui me débordent et m’oppressent le cœur. Aussi, mon bien-aimé, je te le dis : aussitôt que tu n’es plus là, je voudrais pouvoir t’écrire des volumes entiers. Heureusement pour tes chers beaux yeux, je ne me satisfais pas. J’ai eu un moment honte de moi cette nuit quand je te disais que je ferais la coquette. Pauvre bien-aimé, au lieu de me gronder, toi tu fermais tes pauvres yeux malades. Oh ! J’étais ignoble et si j’avais osé, je me serais donné des coups de poingb dans le nez. Mon adoré, mon Victor, mon ange, je suis une bête envieuse et jalouse mais je t’aime et je ne ferai rien qui puisse t’inquiéter ou augmenter la fatigue et le travail auquel tu te condamnes avec une si adorable résignation. Je t’aime, mon Toto. Je t’aime avec le cœur et les entrailles.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16333, f. 65-66
Transcription de Marie Rouat assistée de Gérard Pouchain

a) « profiter ».
b) « poings ».

Notes

[1Invitation à aller voir Hernani, repris à la Comédie-Française pour douze représentations les 20, 23, 25, 27, 29 et 31 janvier et les 6, 9, 12, 15, 17 et 20 février.

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