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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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26 décembre [1845], vendredi matin, 9 h. ½

Bonjour, mon petit homme chéri, bonjour, mon cher amour bien aimé, bonjour, je t’aime. Je te désire dès le matin pour n’en pas perdre l’habitude, ce qui ne t’empêchera pas de venir le plus tard possible. Taisez-vous, vous savez bien que c’est vrai. Je suis bien sûre que si je vous [priais  ?] aujourd’hui de me faire sortir, vous n’en trouveriez pas le temps. Cependant je serais bien sage, je ne vous demanderais rien et je vous laisserais travailler absolument comme si vous étiez seul. Mais je serais à votre bras, mais je respirerais, je marcherais, je serais heureuse. Je ne vous le demanderai pas parce que je ne veux pas vous obséder. J’aime mieux avoir mal à la tête.
Jour, Toto, jour, mon cher petit o, Juju est bien malheureuse, Juju ne veut pasa grogner, suprême effort, et Juju courtb grand risque d’étouffer d’une grognerie rentrée. Mais en sa qualité de Bretonne bretonnante, elle ne le dira pas, dût-elle en crever.
À propos, et ma copie ? Est-ce que vous ne m’en donnerez pas un peu à faire aujourd’hui ? Est-ce que vous me laisserez encore longtemps au régime de charbon, maladies et bains et autre littérature de cuisine et de chaise percée ? En vérité, vous n’avez pas pitié de moi pour deux liards. Si j’osais, je vous détesterais pour deux sous, mais je ne peux pas. Quelque chose atroce que vous me fassiez, il faut que je vous adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 301-302
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « ne veux pas ».
b) « Juju courre ».


26 décembre [1845], vendredi soir, 4 h. ¼

Très certainement, mon cher petit homme, je vous reprendrai mon talisman. Il n’est pas juste que je passe à l’état glabre, griffagne et Bauldourien, tandis que vous restez le plus lisse, le plus jeune et le plus fringanta des Pécopin [1]. C’est un abus que je ne peux pas tolérer plus longtemps. J’y perds trop. En attendant, je vous fais mon compliment, il est impossible de pousser plus loin l’art d’être jeune, beau et charmant. C’est affaire à vous et, n’était le besoin que j’ai de vous assortir à ma vieillerie, je trouverais que rien n’est plus juste et plus ravissant que d’avoir la beauté et la jeunesse quand on a comme vous la bonté et le génie. En d’autres termes, je suis jalouse de ton invincible beauté, mais cependant j’avoue qu’elle t’est due et qu’elle fait très bien d’y rester, dussé-jeb en paraître encore plus surannée et plus décrépite.
Cher petit homme, je vous ai demandé à sortir pour l’acquit de ma conscience, car je sais très bien que vous travaillez et que d’ailleurs il fait trop vilain pour se promener. Seulement je vous renouvelle la mémoire dans le cas où, par impossible, il ferait beau demain et où vous auriez un moment à me sacrifier, que j’ai bien besoin de marcher, de voir les boutiquesc et surtout et bien par-dessus tout de m’accrocher à votre cher petit bras le plus longtemps possible. Baisez-moi et venez vite, je vous attends et je vous désire.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 303-304
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « fringuant ».
b) « dussai-je ».
c) « voir les boutiques » est souligné cinq fois.

Notes

[1La Légende du beau Pécopin et de la belle Bauldour est un conte écrit par Victor Hugo, correspondant à la lettre XXI du Rhin (1842). Dans ce conte, Pécopin voyage de par le monde. Au cours de ce voyage, il se fait offrir un talisman par la sultane favorite de Bagdad qui le protège de la vieillesse et qui peut le sauver de la mort. Pendant que Pécopin voyage et reste jeune, Bauldour l’attend au château et vieillit. Lorsqu’il revient, après cent cinq ans et un jour, il retrouve sa bien-aimée Bauldour âgée de cent vingt ans et un jour.

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