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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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24 novembre [1845], lundi, 8 h. ¾

Bonjour, mon Toto, bonjour, PÂRESSEUX, je suis sûre que vous ne faites rien encore ce matin ? Absolument comme hier, comme avant-hier, comme tous les autres jours, tandis que moi, je TRAVAILLE comme un pauvre caniche. Vous n’êtes pas Zonteux seulement. Allez, vous devriez rougir jusque sous la semelle de vos BAUTTES si vous aviez pour deux liards de cœur. Taisez-vous, vilain paresseux, travaillez, ça vaudra bien mieux que de me laisser tout faire, entendez-vous.
Cher adoré bien-aimé, j’ai le courage et l’effronterie de rire de la chose qui me contriste le plus quand j’y pense sérieusement. Quand je pense que tu ne prends pas un jour de vrai repos dans toute l’année, que tu ne te permets aucun de ces loisirs que tout le monde prend, j’ai le cœur navré de pitié et je me reproche de vivre, moi qui ne suis bonne à rien. Je ne te dis pas cela de bouche, mon Victor adoré, crois-le bien. Quand ma pensée se pose sur toi dans ces moments-là, je sens une douleur au cœur comme si j’y avais une plaie vive et ce n’est qu’avec effort que je m’en distraisa. Aussi je suis indignée et furieuse contre tous les gens qui abusent de ton désintéressement en affaire et qui font spéculation de ta générosité. Si je pouvais, je crois que je les tuerais sans remordsb. Ce sont plus que d’infâmes gredins, ce sont de hideux sacrilèges qui abusent de ta divine bonté pour te piller honteusement. Je suis dans un accès de colère ce matin parce que je viens de me lever sur un rêve où il était question de tes affaires, lesquelles étaient sacrifiées, comme toujours, par la mauvaise foi. Je te demande pardon de laisser déborder jusqu’à toi le trop-plein de mon ressentiment, mais j’en avais trop besoin. Je crois que sans cet épanchement, j’aurais eu toute la journée une colère concentrée qui se seraitc répandue sur tout le monde, y compris Foyou et Cocotte, innocentes victimes.
Claire est partie ce matin à 7 h. précises avec la pluie et la neige. Je l’ai embrassée avant son départ. Elle m’a bien recommandé de te rendre une partie de ses baisers. Je crois, j’espère, ne pas me tromperd, hélas ! qu’elle est dans une bonne veine dans ce moment-ci. Il faudra pourtant que j’aille voir Mme Marre jeudi prochain pour savoir au juste ce qui en est. Je pense que tu seras de cet avis du reste. En toute chose, je ne veux faire que ce que tu veux et principalement pour ce qui regarde cette pauvre péronnelle. Je me trouve trop bien des bons avis que tu veux bien me donner pour ne pas les suivre aveuglément et te les demander à genoux. Tu es mon Dieu, toi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 175-176
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « je m’en distrait ».
b) « sans remord ».
c) « ce serait ».
d) « me trompée ».


24 novembre [1845], lundi après-midi, 3 h. ¼

Mon Victor bien aimé, mon pauvre amour, je suis encore en souillon telle que tu m’as trouvée tantôt et cependant je ne me suis pas arrêtée une minute. D’abord j’ai écrit à Mme Luthereau et je lui ai envoyé copie de la lettre de M. de Rumigny [1] pour qu’elle pût la lire. Quelle fatuité  ! J’ai écrit en même temps à Brest et puis enfin à Mlle Féau qui est pleine de bonté pour ma fille, comme tu sais. Tout cela m’a pris le meilleur et le plus clair de ma journée, de sorte qu’il me restera à peine assez de jour pour me débarbouiller en gros. J’abomine les lundis à cause des rangements supplémentaires que j’ai à faire. Ajoute que j’ai été deux jours malade, ce qui a retardé encore différents petits triquemaques quotidiens auxquelsa je suis habituée. Bref, je suis hideuse et je n’en finis pas, voilà ce qui n’est que trop vrai.
Cher petit homme, moque-toi de moi, tu en as le droit, car je ne suis qu’une vieille affairée qui trouve moyen de remplir une journée jusqu’au bord avec des minuties ridicules et inutiles. Tu devrais me corriger et me forcer à travailler pour de bon. Ce serait un grand et véritable service que tu me rendrais. Tandis que, livrée à moi-même, j’émiette ma journée à des niaiseries domestiques sans nomb et sans nombre. Quand je pense à ce que tu fais, toi, j’ai honte de moi-même. Je me répète dans tout ce que je te dis, mon Victor adoré, ce qui te prouve la sincérité de mes paroles. En effet, je ne suis pas un jour, pas une heure, pas une minute sans penser à ton dévouement et à ton courage surhumain. Je te plains comme homme, je t’admire comme génie, je te bénis comme ange, je t’adore en tout et par tout. Tu es mon Victor ravissant que j’aime plus que ma vie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 177-178
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) auquels ».
b) « sans noms ».

Notes

[1S’agit-il du Général de Rumigny, député de la Somme en 1830 et de la Mayenne de 1831 à 1837 ? À élucider.

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