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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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11 novembre [1845], mardi matin, 9 h. ½

Bonjour, mon petit bien-aimé, bonjour, mon adoré petit Toto, bonjour, mon pauvre petit piocheur, bonjour, toi, comment vas-tu ce matin ? Moi je vais bien, je t’aime, mais je suis triste parce que je m’aperçois de jour en jour que je te deviens étrangère. Autrefois tu n’aurais pas oublié de m’apporter toutes tes lettres. Maintenant tu ne m’en apportes plus une seule et même tu ne me parlesa jamais de celles qui t’intéressent. Je ne veux pas te tourmenter, mon Victor, bien loin de là, mais qu’est-ce que tu penserais si j’agissais comme cela avec toi ? Tu croirais que je ne t’aime plus et tu aurais raison. Ce n’est pas seulement à cet indiceb que je m’aperçois que tu ne m’aimes plus. Il en est d’autres de plus significatifs encore qui me prouvent que je ne suis plus rien pour toi. Toute ta conduite envers moi est celle d’un honnête homme généreux, dévoué à l’excès, mais il n’y a plus une parcelle de l’amour d’autrefois. Mais alors pourquoi ne pas me le dire tout de suite ? Pourquoi me le laisser deviner ? Pourquoi me faire faire le personnage le plus ridicule et le plus odieux que je connaisse, celui d’une femme qu’on n’aime plusc ? Si c’est par pitié pour moi, je t’en remercie, mais ton but est manqué, car tout ton dévouement, toute ta générosité ne me donnent pas le change et ne servent qu’à faire ressortir davantage l’absence d’amour. Je sais bien que je ne peux pas te contraindre à m’aimer, que cela ne dépend ni de toi, ni de moi, mais je ne veux pas de ton dévouement seul. Je veux tout ou rien.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 141-142
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « tu ne me parle ».
b) « cette indice ».
c) « qu’on aime plus ».


11 novembre [1845], mardi soir, 5 h.

J’ai été méchante ce matin, mon doux adoré, je t’en demande pardon à deux genoux. Vois-tu, quand je crois que tu ne m’aimes plus, je deviens folle. C’est que je t’aime tant moi, mille fois plus que ma vie. Ce n’est pas une manière de parler, c’est la sainte vérité. Quand je te vois si beau, si jeune, si doux, si noble, si grand et si ravissant, tout mon être est en extase devant toi. Mais je ne peux pas supporter la pensée de m’imposer à toi. Le jour où tu ne m’aimeras plus, je ne veux plus rien de toi. Je te l’ai toujours dit. Je veux tout ou rien.
Tu es arrivé à temps pour épargner l’infortuné platâne de la mère Burgot. Sans toi on allait encore lui rogner la queue de plus près. Heureusement tu t’es trouvé là comme mari en calèche. Quant à moi, j’avoue que l’amour de la fruiterie, comme tu dis, l’emporte sur le pittoresque. J’aime mieux un abricot de plus dans mon jardin et une branche de moins à mon platane. Voilà mon opinion nettement formulée, dussé-jea me faire huer et conspuer par vous. D’ailleurs je veux vous entretenir de raisin de MA vigne, moi c’est mon idée. Je veux vous faire manger des fraises toute l’année, on n’a pas le droit de m’en empêcher, peut-être. Taisez-vous, vieux gueulard. Quand il y aura des bons fruits dans mon jardin, vous serez bien content et vous vous ficherez pas mal de mon plat-âne. Baisez-moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 143-144
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « dussai-je ».

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