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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 octobre [1845], mercredi soir, 6 [h.] ¾

Je suis arrivée jusqu’à présent sans t’avoir écrit, mon cher bien-aimé, grâce à toutes les histoires de couturière, de blanchisseuse, de tapissier, de jardinier, de visite de petites filles, de déménagement et d’emménagement, etc., etc. Enfin me voici assise, Dieu merci, et j’en profite tout de suite pour te gribouiller mon petit contingent de pataquès, de stupidités et de grogneries. D’abord je vous demanderai pourquoi vous ne m’avez laissé que la moitié du Corsaire [1] ? Pourquoi vous n’êtes pas encore revenu ce soir, si vous devez revenir ? et pourquoi vous m’avez fait vous acheter de la viande si vous ne deviez pas venir la manger ? Entre nous soit dit, je crains fort que vous ne vous soyez moqué de moi tantôt en me disant que vous viendriez peut-être ce soir. Ce peut-être-là était évidemment dans votre pensée la certitude de ne pas venir du tout. Si cela est, ça n’est pas très BOMBÉ et je ne vois pas ce que vous gagnerez à faire faisander votre filet de bœuf jusqu’à demain, sans compter que vous me manquez de respect en vous jouant ainsi de ma bonne foi. Je ne suis pas contente, mon Toto, et je sens que je serai très triste jusqu’au moment où je te reverrai, pourvu que je te voie demain matin ? Je sens déjà au cœur cette espèce de contraction que me donne ton absence. Plus j’[irai  ?] et plus elle augmentera jusqu’au moment où tu reviendras. Je sais bien, mon Victor adoré, qu’il faut que tu fasses tes affaires et que tu ailles à Saint-James [2], mais la tristesse que j’éprouve est indépendante de ma volonté. Mais quelle ravissante surprise et quelle joie ce serait si tu arrivais tout à l’heure !!!!!!!a Cela n’est pas probable et je ne dois pas me faire cette courte illusion qui me rendrait ton absence plus pénible encore. Mon Victor chéri, pense à moi, PENSE À L’ABSENTE. Si quelque chose peut adoucir l’amertume de notre séparation momentanée, c’est ta pensée fixée sur moi. Je crois au magnétisme de l’amour comme je crois à l’amour lui-même. Aussi je te supplie de penser à moi afin que je sois moins triste et que le temps me paraisse moins insupportable jusqu’à demain. Je ne sais pas si j’ai bien fait, j’ai pris jour lundi prochain le matin pour poser les tapis ? Il est convenu qu’on essaiera pour cette année de mettre dans ma chambre le vieux tapis de la salle à manger. Dans le cas où tu désapprouverais cet emploi, il sera temps jusqu’à lundi de le changer. En attendant, je t’attends, ce qui n’est pas très GEAIb. Baise-moi, je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 25-26
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) Sept points d’exclamations courent jusqu’au bout de la ligne.
b) « geaie ».

Notes

[1Le Corsaire, journal des spectacles, de la littérature, des arts, des mœurs et des modes, titré le Corsaire-Satan du 7 septembre 1844 au 12 mars 1847, est un quotidien qualifié de léger, abordant malgré tout la politique sous un angle plutôt libéral, et légitimiste après 1848, publié de 1823 à 1858. Jean Louis Viennot en fut le directeur de publication de 1829 à 1858.

[2La famille de Victor Hugo séjourne à Saint-James depuis le 12 septembre. Il lui rend régulièrement visite, restant un ou deux jours. Le séjour prend fin le 21 octobre.

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