14 juillet [1845], lundi matin
Bonjour, mon Toto chéri, bonjour, mon cher amour bien aimé, bonjour, vous, bonjour, toi, comment m’aimez-vous ce matin ? Moi je vous aime trop, ce dont j’enrage. Et vous aussi peut-être ? Mais qu’y faire ? Il n’y a pas de caustique pour ce genre de maladie ni d’émollients, ni d’adoucissants ; quand une fois la plaie est faite, on la garde pour la vie. Tant pire pour ceux ou celles qui se laissent prendre.
Jour, Toto, jour, mon cher petit o, je viens de payer le loyer. Je me suis aperçue que la quittance portait le nom de Mme Droit. Je n’ai pas voulu faire d’observation à la portière. Je me propose seulement de monter tantôt chez la propriétaire pour lui faire rectifier cette petite erreur. J’enverrai tantôt payer les impositions et puis j’écrirai à ton bottier de venir. Voilà encore un vilain mois à passer. Il me semble qu’il n’y a pas quinze jours que j’ai payé le terme. Ce n’est pas que les jours me paraissent courts, Dieu le sait, mais je hais tant certaines époques de l’année que je voudrais pouvoir les reculer indéfiniment.
Mon Victor chéri, je vous aime, je serai bien heureuse si vous venez tout à l’heure, je serai la plus heureuse des Juju si vous restez auprès de moi à lire vos journaux. Je consens pour cela à lire tous les GRANDS RÉFÉRENDAIRES [1] que vous voudrez et tous les MONITEURS [2]. Vous voyez jusqu’où peut aller la fureur de l’amour. Elle irait encore plus loin si vous vouliez.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16360, f. 35-36
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
14 juillet [1845], lundi après-midi, 3 h. ¾
J’attends, mon Victor bien aimé, j’attends que tu viennes me sourire et me donner du courage, le mien étant déjà très au bout de son rouleau. Je ne sais pas si tu seras allé à la Chambre [3] et même s’il y a eu Chambre aujourd’hui, mais je sais que je voudrais bien te voir, ne fût-cea qu’une minute.
Je suis allée chez Mme Burgot tout à l’heure faire refaire la quittance au nom de Lanvin. J’y suis parvenue, à peu près, car elle à mis Louvin au lieu de Lanvin. Les contributions n’ont guère mieux orthographié ce nom harmonieux mais je pense que cela n’a pas d’autre importance. J’attends Dabat. Tu me diras s’il faut que je te fasse acheter de la lavande, si tu veux que j’achète du gaz, de l’esprit de vin, du vinaigre de Bully [4], des veilleuses et que je paie le mois de Suzanne, tout cela sur l’argent qui est là.
4 h. ¾
Je te demande pardon, mon Victor bien aimé, je suis folle, vraiment. Je te tourmente inutilement. Je me hais dans ce moment-ci de t’avoir ennuyé de mes humeurs noires. Cependant cela t’a donné l’occasion d’être admirablement bon comme toujours. Je ne devrais pas autant m’en vouloir mais je crains tant de t’ennuyer que je ne sais pas ce que je préférerais à cela. Je t’aime mon Victor adoré, ne l’oublie jamais quoi que je fasse et que je dise. Je t’aime plus que ma vie.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16360, f. 37-38
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « ne fusse ».