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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 juin 1845

16 juin [1845], lundi matin, 7 h. ¾

Bonjour, mon Toto aimé, bonjour, mon Toto chéri, bonjour, traître, bonjour, méchant, bonjour, scélérat, bonjour, pair de France. Ah ! vous croyez que vous me planterez là toutes les nuits sous prétexte de ne pas me réveiller quand vous voyez que je n’ai pas la moindre envie de dormir et que je ne me vengerai pas ? Eh bien ! vous vous trompez. Je dépouille dès aujourd’hui ma peau de mouton (la température m’y engage) et je revêts celle d’un tigre du Bengale. Je suis lasse de ma patience et de ma douceur puisqu’elles ne m’avancenta qu’à vous voir de moins en moins. Je veux essayer de la férocité. Cela me réussira peut-être mieux. En attendant, je ne vous aurai presque pas vu de la journée hier. Je ne sais même pas comment va votre pauvre petit pied et comment mon remède a agi. Je ne sais pas contre qui ou contre quoi vous étiez mécontent hier. Enfin je ne sais rien de rien et ce n’est pas assez. À partir d’aujourd’hui, je vais monter sur mes grands chevaux pour obtenir de vous un peu plus d’un quart d’heure par jour. Si vous me refusez, je vous arracherai les yeux et tous vos cheveux noirs, ça fait que vous ne pourrez plus faire le joli cœur à la Chambre et dans les chambres. Sur ce, baisez-moi mieure que ça.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 303-304
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « elle ne m’avance ».


16 juin [1845], lundi après-midi, 5 h.

Je suis fâchée de t’avoir donné un remède qui, loin de te soulager, a encore irrité ton mal. J’espérais, après l’expérience que j’en avais faitea, que cela te ferait du bien. Mon pauvre petit homme, je me suis trompée. Cela m’arrive presque toujours. Ce n’est pourtant pas faute d’y mettre tout le désir de te faire du bien. J’ai encore un autre remède qu’on dit très doux, mais je ne l’ai pas employé. C’est du papier chimique. Je vais t’en mettre tout de suite de côté, tu verras si tu veux en essayer. Nous t’avions gardé une cerise, moi et Suzanne, et voilà que les goulliaffes de pierrots [1] l’ont mangée hier pendant que nous étions sorties. J’en suis très fâchée parce que je voulais te donner les premières de ma récolte. Pour peu que cela continue, je n’aurai même pas une queue d’oseille à t’offrir. Ces petits pillardsb dévorent tout. L’année prochaine j’aurai des filets pour n’avoir pas maille à partir avec eux. En attendant, nous les guettons pour les empêcher de manger deux ou trois fraises rouges qui montrent le bout de leur nez.
Cher adoré, quand donc aurai-je le bonheur de passer une bonne soirée bien entière avec toi ? Autrefois j’avais plus d’ambition, mes moyens me le permettaient, mais à présent j’ose à peine m’élever jusqu’à cette prétention de passer quelques heures avec toi. À quoi bon, en effet, demander la chose qui vous tient le plus au cœur quand on est sûre d’avance d’être refusée. J’ai besoin de te voir plus que de respirer. Je donnerais des années de ma vie pour chaque heure passée avec toi, mais tout cela ne t’intéresse plus assez pour y faire la moindre attention. C’est à grand peine si je te vois quelques minutes par jour. Pourtant je t’aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 305-306
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « j’en avais fait ».
b) « pilliards ».

Notes

[1« Pierrot » : « nom vulgaire du moineau franc » (Littré).

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