Guernesey, 30 avril 1860, lundi matin, 7 h. ½.
Bonjour, mon cher adoré bien-aimé, bonjour et soleil. Cette fois je crois que c’est pour de BON que le printemps prend domicile à Guernesey. Il était temps car c’est demain le 1er mai. Aujourd’hui, si tu peux, je te demanderai d’aller voir MA colonne [1]. Bien entendu que je céderai le pas à la petite Cosette dans le cas où elle t’acoquinerait à ses douces grâces. Jusque-là, j’espère que tu as passé une GOOD nuit. Peut-être même dors-tu encore car tes fenêtres restent fermées malgré la beauté du ciel et la douceur de la température. La mienne à moi, de fenêtre, est ouverte depuis six heures et demi et je ne fais pas allumer de feu ce matin, c’est si bon de se chauffer au poêle du bon Dieu que j’en saisis la première occasion avec emportement. Cela ne m’empêche pas pourtant de rester encore paresseusement dans mon lit jusqu’à ce que j’aie déjeuné. Mais j’ai trop hâte de reprendre mes vilvousses [2] matinales pour prolonger longtemps maintenant mes stations dans mon lit. Encore quelques jours de beau temps bien tiède et bien [ressuyéa [3] ?] de brouillard et je prendrai mon essor. Mais je m’aperçois qu’à force de penser à toi je ne te parle que de moi, distraction stupide, et qu’il reste à peine assez de place pour te donner mon cœur, ma vie et mon âme.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16381, f. 98
Transcription de Claire Villanueva
a) On croit lire « ressuier ».