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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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6 avril 1845

6 avril [1845], dimanche, midi ½

Bonjour, mon Toto adoré, bonjour, mon ravissant petit Toto, bonjour, mon cher petit aigle amoureux d’une AUTRUCHE [1], bonjour, vous, bonjour, toi, bonjour, mon Toto adoré. Comment vas-tu ce matin ? Moi, je vais toujours à peu près de même. Je crois que j’ai pris mon rhume de cerveau à bail. Je ne sais plus de quel côté me moucher tant mon nez, mes lèvres et ma figure sont tuméfiés. C’est ennuyeux et surtout, c’est fatiganta.
Je vous ai copié la lettre de la petite Charlotte [2]. Je vous ai lavé vos gants jaunes. Vous pourrez encore faire le FARAUDb avec avant de me les abandonner définitivement. Dabat est venu. Il a vu la botte et il dit qu’elle a été brûlée en la faisant sécher pour mettre le vernis et que le domestique l’aura déchiquetée comme cela pour cacher sa maladresse. Il te prie de lui donner un de tes souliers gris ou un morceau de ton pantalon pour rassortir la nuance à coup sûr.
Mon cher petit bien-aimé, vous voyez que depuis ce matin je ne m’occupe que de vous, sans compter que j’ai rêvé de vous toute la nuit. Voilà à quoi je passe mon temps quand vous n’êtes pas avec moi. Est-ce bien criminel, mon maître ? Oui, grosse Juju [3]. Taisez-vous, scélérat.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 21-22
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « fatiguant ».
b) « la faro ».


6 avril [1845], dimanche après-midi, 4 h. ¼

Quel dimanche, mon Victor, que celui où je ne t’ai pas encore embrassé à 4 h. de la journée comme aujourd’hui ! Les heures se traînent avec une lenteur irritante qui me fait mal jusque dans la moëlle des os. Ce n’est pas que je ne sache que faire de mon corps, bien loin de là ; il est toujours occupé à trente-six choses dont je n’ai pas même la perception mais qui l’occupenta depuis un bout de la journée jusqu’à l’autre. Non, ce qui me pèse, ce qui est vide et désœuvré en moi, c’est ma pauvre âme qui ne sait où aller, ou plutôtb qui voudrait aller là où tu es comme un pauvre oiseau dans sa cage veut aller à la liberté et au SOLEIL. Aussi, mon Toto, je m’agite, je vais et reviens en pensée et en désir de toi à moi, de moi à toi sans jamais saisir un pauvre moment d’amour et de joie au passage. Je me dis bien que tu travailles, que tu es occupé de cent choses mais je sais, par expérience, que le vrai amour passe avant tous les travaux, toutes les occupations, toutes les ambitions et tous les besoins de la vie. Tout cela, mon Victor, me donne une tristesse et un découragement profondsc. Je me demande ce que je fais sur la terre puisque tu ne m’aimes plus ou que tu m’aimes moins, ce qui est la même chose ? Je souffre et je pleure.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 23-24
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « qui l’occupe ».
b) « plus tôt ».
c) « profond ».

Notes

[1Juliette Drouet détourne un vers de Ruy Blas (1838), Acte II, scène II : « Madame, sous vos pieds, dans l’ombre, un homme est là / Qui vous aime, perdu dans la nuit qui le voile ; / Qui souffre, ver de terre amoureux d’une étoile ; / Qui pour vous donnera son âme, s’il le faut ; / Et qui se meurt en bas quand vous brillez en haut. ».

[2Le samedi 5 avril, Juliette reçoit une lettre de sa fille, Claire, accompagnée d’une lettre de la demi-sœur de Claire, Charlotte Pradier, qui demeure alors dans la même pension à Saint-Mandé.

[3Juliette détourne les paroles d’une comptine « Préchi, précha » : « Est-ce bien fait mon maître ? / Oui, ma grosse bête ».

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