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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 juillet [1844], dimanche matin, 10 h. ½

Bonjour, mon petit Toto adoré, bonjour, mon cher amour ravissant, bonjour, je t’aime. Je n’ai presque pas dormi de la nuit mais c’était de bonheur. J’aurais voulu même ne pas m’endormir du tout pour ne pas perdre un moment le souvenir des deux charmantes heures que tu as passées auprès de moi. Ce succès m’enhardira à l’avenir et je mettrai toute susceptibilité de côté pour te forcer à me donner plus souvent de ces heures de bonheur que je paierais des années de ma vie. Tremblez, Toto, et songez à me faire aussi à moi MA PART DU FEU. Voime, scélérat, je t’en donnerai des parts et du feu avec une trique sur tes épaules. Comptea là-dessus comme si tu la sentais. En attendant, je ne vois pas venir Cocotte. Ce hideux Lanvin n’aura pas pu aller la chercher. Je m’attends à une reconnaissance assez tendre entre Fouyou et elle, je verrai si je me trompe. En même temps, je donnerai à Lanvin les deux reconnaissances et l’argent pour les renouvelerb. J’ai déjà payé le loyer tout à l’heure, j’ai recommandé à Claire d’apporter la note de son trimestre, ensuite, ce sera le mois de Suzanne, de sorte que de tout l’argent que tu m’as donné, il ne restera plus un sou d’ici à huit jours. Pauvre adoré, je suis effrayée en pensant à tout ce qu’il te faut de travail caché pour gagner cet argent. Pourvu, mon pauvre adoré, que tu ne te fassesc pas de mal et que tu ne regrettes jamais d’avoir accepté un si lourd fardeau. Voilà ma crainte de tous les jours et des tous les instants. Je te supplie dans ce cas-là de te souvenir que j’ai fait tout au monde pour résister à ton dévouement ; mon Victor bien aimé, tu dois me rendre cette justice que j’ai tout fait pour t’empêcher de prendre la responsabilité de mon passé et de mon avenir, n’est-ce pas que tu t’en souviens ? N’est-ce pas que tu m’aimeras toujours quoi qu’il arrive ? Moi, je suis prête à tout pour conserver ton amour qui est ma vie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 259-260
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette

a) « comptes ».
b) « renouveller ».
c) « fasse ».


14 juillet [1844], dimanche soir, 10 h. ¾

Tu es très gentil, mon petit bien-aimé, d’être venu travailler auprès de moi ; seulement, nous n’étions pas assez seuls et cela n’a pas duré assez longtemps. Ce soir, je voudrais, non pas que tu viennes travailler parce que cela fatiguerait tes pauvres yeux, mais que tu viennes auprès de moi pour être aimé et pour être caressé par ta pauvre Juju. Décidément, je vous défends d’être le champion de l’innocence de Mme Lacoste [1]. Je vous prie de laisser aux divers sténogriffes en admiration et en pâmoison à l’endroit de sa beauté et de sa candeur naïve. À chacun son métier et les vaches seront bien gardées, dit un proverbe champêtre [2]. Le vôtre de métier est de m’aimer et de m’être fidèle sous peine de mort. Je n’ai pas besoin que vous vous montiez l’imagination…

15 juillet [1844], lundi matin, 10 h. ¾

L’amour se suit et se ressemble, mon cher adoré, même à douze heures d’intervalle. Je ne trouve rien de nouveau à te dire sinon que je t’aime, que je ne veux pas que tu prennes feu pour les beaux yeux de la belle [AUTRICHIENNE3 ?]. Tu vois que je suis au beau fixe… comme le temps. Mon petit Toto [s’il  ?] y a quelque chose d’aussi invariable que mon amour, c’est ma stupidité. J’ai beau me démener, beau faire et beau dire, je suis bête comme plusieurs oies, ça n’est pas ma faute mais ça n’en est pas beaucoup plus drôle ni plus consolant. Je te baise à plates coutures.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 261-262
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette

a) 7 points de suspension qui continuent à la ligne suivante.

Notes

[1Affaire survenue à Auch dans le Gers. Euphémie Lacoste est une belle jeune femme pauvre, âgée de vingt ans, mariée à un riche oncle de cinquante ans son aîné, Henri Lacoste. Trois ans après leur mariage, Henri tombe malade ; les médecins concluent à un empoisonnement et Euphémie est accusée, d’autant qu’elle est son héritière et que de témoins affirment qu’elle est courtisée par un avocat avec lequel, dit-on, elle serait fiancée. Le procès déchaîne les passions.

[2Morale de la fable « Le vacher et le garde-chasse » de Jean-Pierre Claris de Florian (1755-1794). Où un jeune vacher confie ses vaches à un garde-chasse parce qu’il veut aller chasser ; à son retour, le garde-chasse, épuisé, s’est endormi et a laissé les vaches d’échapper et le chien se blesser. Voltaire fait remonter cette expression à Aristote (« Lettre à M. le Marquis de Villette », 7 juin 1765).

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