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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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3 juin 1844

3 juin [1844], lundi matin, 9 h.

Je voudrais te voir, mon bon petit homme. Tant que je ne t’aurai pas vu, il me manquera ce je ne sais quoi qui est plus que l’air qu’on respire, plus que la vie. Je suis tourmentée malgré moi. Je trouve ce mal de gorge bien tenace ; enfin, j’ai bien besoin de te voir pour me tranquilliser un peu. Eulalie ne viendra sans doute pas aujourd’hui car voici l’heure à laquelle elle doit venir bien passée. Cela me contrarie parce que j’en ai besoin et parce que j’aurais, avec plus de facilité, pu faire coucher Suzanne. Sa sœur est bien venue mais la pauvre fille est tellement peu solide que je ne m’en servirais qu’à la dernière extrémité. Du reste, le temps est bien beau et je compte là-dessus pour vous guérir tous, toi surtout, mon pauvre bien-aimé adoré, pour qui le beau temps est une sorte de panacée.
Jour Toto, jour mon cher petit o, comment va Cocotte ? Je ne vous conseille pas de la mettre en liberté sur le balcon : il est probable que le grand air et le voisinage des arbres lui inspireront le goût de la promenade, et, pour peu que vous y teniez, vous ne la reverrez plus. Il ne faut la mettre sur son bâton que dans l’appartement et l’hiver. Je serais vraiment fâchée qu’il arrivâta malheur à cette pauvre Cocotte. Je serais aussi très fâchée qu’on la laissâtb devenir méchante pour ne pas avoir le courage de la corriger. Du reste, mes bras lui sont ouverts pour peu qu’elle vous ennuie ou qu’elle vous embarrasse. Baise-moi, mon petit Toto adoré, baise-moi encore et toujours.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 107-108
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette

a) « qu’il arriva ».
b) « qu’on la laissa ».


3 juin [1844], lundi après-midi, 1 h.

Je ne veux pas tarder un seul… J’en étais là quand tu es venu me surprendre, mon bien-aimé adoré. Ta lettre, toi, deux bonheurs à la fois, j’en suis ravie dans le fond de mon âme [1]. Tu n’as pourtant fait que paraître mais c’est égal. Je t’ai vu. Et puis, ta lettre, ta chère petite lettre, ta lettre adorable me reste. Je la vois, je la touche, je la respire, je la baise, je la dévore, il me semble que c’est ton âme même que j’aspire par tous les pores. Ô mon adoré, quelle douce surprise tu viens de me faire, quelle ineffable joie tu viens de me donner. Merci, merci mon Victor adorable, tu as effacé en un instant l’amertume de bien des jours. Sois béni autant que tu es bon et que je t’aime.
Je voudrais être plus vieille de deux jours pour savoir si ton alun n’est pas une mystification. J’ai une antipathie tellement prononcée pour ce hideux remède que je voudrais ne t’en voir jamais faire usage. Il est vrai que je reviendrais bien vite à de meilleurs sentiments si cela te guérissait, mais il n’y a que cela qui puisse me faire revenir de ma mauvaise opinion sur cette effroyable cochonnerie. J’ai bien aussi mal à la gorge, moi, mais j’attribue cela à l’odeur de la peinture ; ce soir ou demain, je n’y penserai plus. Je voudrais bien que ma pauvre servarde en puisse dire autant. Mais, dans tous les cas où elle n’irait pas mieux ce soir, je ferai venir M. Triger sans tenir compte de ses stupides préventions à l’endroit des médecins.
Mon Toto, je t’aime.
Mon Toto, je te baise.
Mon Toto, je t’adore.
Mon Victor, je suis heureuse,
Oui, bien heureuse.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 109-110
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette


3 juin [1844], lundi soir, 6 h. ³∕₄

Mon adoré, mon adoré, mon cœur est inondé d’amour, de reconnaissance, de bonheur et de joie, je voudrais baiser tes chers petits pieds. Pauvre ange du bon Dieu, au milieu de la nuit, épuisé de fatigue, malgré tes pauvres yeux irrités, tu as trouvé le temps, la force et le courage de m’écrire cette douce et ravissante lettre. Ô… entre toutes, celle-là sera mon étoile dans le ciel de mon amour. Pardonne-moi mon exaltation, mon adoré, je ne peux et je ne sais t’aimer que comme cela. Je ne peux pas t’aimer comme un homme ; je t’aime comme quelque chose de divin et d’adorable. Te voilà.

8 h. ⅟₄

Vous venez toujours me surprendre, scélérat, au moment où je vous confie mes plus chères pensées. C’est très indiscret de votre part et je ne vous croyais pas capable de ça. Une autre fois je me tiendrai sur mes gardes nationales que vous êtes. En attendant, je vous ordonne de ne plus avoir mal à la gorge ou je me fâche tout rouge à la fin. Je n’ai pas besoin, moi, d’avoir un homme malade comme un chien, c’est bien assez de ma pauvre servarde [2]. Je veux que vous vous portiez bien tout de suite : j’ai besoin de votre santé pour vivre, moi. Oui, mon pauvre bien-aimé, je vous aime et je ne veux pas que vous soyez malade, entendez-vous ? Il faut pour cela bien vous garantir du froid ce soir, mon cher petit homme. Il faut venir vous chauffer auprès de moi. Je vous lirai des bons journaux bien sucrés et vous m’en direz des bonnes nouvelles, sans parler des bonnes petites caresses que je vous donne.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 111-112
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette
[Blewer]


3 juin [1844], lundi soir, 9 h.

Je ne vous ferai pas grâce de la plus petite patte de mouche, mon cher adoré, tant pis pour vous, pourquoi que vous m’écrivez ? Une autre fois ça vous apprendra à ne pas me donner tant de bonheur à la fois. Je ris, mon adoré, car je suis bien heureuse, bien heureuse, bien heureuse, bien heureuse. Ta bonne petite lettre est là qui me chatouille le cœur ; je voudrais être à ce soir pour la relire et la baiser lettre à lettre et mot à mot. Tu ne te moques pas de moi, n’est-ce pas ? Tu sais bien ce que c’est que ta pauvre Juju folle de joie et d’amour ! Tu comprends bien que je laisse aller le trop-plein de mon cœur comme il veut et comme il peut ? J’ai encore ma Joséphine auprès de moi ; Suzanne est allée se coucher depuis longtemps déjà. J’attendrai à demain pour faire venir M. Triger. Je vais faire mes comptes si je peux, et puis je serai au pair avec moi-même. Seulement, je pousse des soupirs d’impatience en regardant la pendule car je trouve qu’elle va bien doucement ce soir. Je voudrais pourtant bien te voir, au risque de te voir faire ta pauvre petite grimace de douleur en dégustant ton effroyable drogue [3]. Dépêche-toi de venir, mon Toto adoré, tu mettras le comble au bonheur d’aujourd’hui. Je t’en prie bien de tout mon cœur et je crierai bien haut : – Quel bonheur !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!a Il y a si longtemps que cela ne m’est arrivé, tu sais mon amour ?

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 113-114
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette

a) 21 points d’exclamation courent sur toute la ligne. 

Notes

[1Hugo lui poste le 3 juin une lettre écrite dans la nuit : « Je veux que tu saches, ma bien aimée, qu’après avoir lu tes douces lettres si tristes, si adorables et si injustes pour toi, je les ai baisées avec un ineffable amour. Je veux que ton pauvre cœur se calme et se rassure. Jamais tu n’as été plus belle à mes yeux ; jamais tu n’as été plus charmante et plus tendre ; jamais tu n’as eu plus de dévouement, de résignation, de grâce et de vertu. Je t’aime comme une ravissante femme, je t’aime comme un pauvre ange ! / Tout à l’heure je te berçais dans mes bras comme mon enfant ; tu t’es endormie un moment ; je t’ai bénie du fond du cœur. Je veux que tu sois heureuse, entends-tu ! Je veux que tu sois gaie ; je veux qu’il y ait dans tes beaux yeux des sourires et non des larmes. Et qu’est-ce donc qui doit éclore sous le baiser si ce n’est le sourire ! / Je te verrai demain matin avant que tu reçoives cette lettre. Je ne l’en écris pas moins. C’est une pensée que je t’envoie tout de suite. Il me semble qu’elle va t’arriver dans un doux rêve. – Dors bien, mon ange ! » (édition citée de Jean Gaudon, p. 130.)

[2Suzanne est malade.

[3Hugo soigne ses maux de gorge avec de l’alun.

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