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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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11 février [1844], dimanche matin, 11 h.

Bonjour, mon petit Toto bien aimé. Bonjour mon adoré petit homme. Bonjour, bonjour, je vous aime. Vous devez le savoir depuis le temps que je vous le dis mais moi je ne m’en lasse jamais.
Qu’est-ce que vous faites aujourd’hui ? Il me semble qu’il fait bien beau et que vous pourriez bien me faire sortir si vous le vouliez ? Cependant je n’y compte pas beaucoup et je flâne le plus que je peux. Je donne des leçons de langue, de chant et de littérature à mes divers perroquets. Jusqu’à présent j’en suis pour mes frais d’éducation mais j’espère avec de l’impatience en venir à bout plus tard [qui ?] nourrira l’essaim des Iroquois [1]. Tout cela ne fait pas le bonheur.
Jour Toto, jour mon cher petit o. Je vais me hâter cependant dans le cas où tu pourrais me conduire chez la pauvre malade [2]. J’ai rêvé d’elle et de toi toute la nuit. Pauvre femme, elle t’aimait bien.
Je ne veux pas m’appesantir sur sa perte prochaine parce que je ne veux pas t’attrister, mon pauvre ange, et ajouter l’ombre d’une tristesse à tes chagrins si cruels et si récents [3]. Je m’en veux même de ce que je viens de t’en dire, pardonne-moi. Tâche de me venir voir un peu dans la journée, mon cher bien-aimé, pour que cela me donne du courage et de la résignation. Pense à moi si tu peux et aime-moi. Je t’aime, moi, mon Victor, plus que tu ne peux le désirer. Je t’aime à rendre le bon Dieu jaloux. Je t’aime, je t’aime, je t’aime. Je baise tes beaux yeux et ta ravissante bouche.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 161-162
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette


11 février [1844], dimanche soir, 11 h.

J’ai été bien maussade aujourd’hui, mon Toto, je le reconnais et je m’en repens. Depuis que tu m’as expliqué la triste cause de ton absence [4], que je savais déjà mais que la jalousie me fait oublier souvent, j’ai des remords, mon cher bien-aimé. Je me trouve absurde et méchante et je voudrais baiser tes pieds. Mon Victor bien aimé, plutôta que de te voir souffrir de tes pauvres yeux comme l’autre foisb, je me voue à la prison perpétuelle, je ne te demanderai jamais à sortir, je ne me plaindrai pas, je ne serai pas méchante ni jalouse pour que tu ne passesc pas les nuits et pour que tu ne souffres pas. Je t’aime trop, mon Victor adoré. Je t’assure que je t’aime trop. Tantôt, en te voyant si jeune et si beau, je me suis sentie prise d’une jalousie odieuse en comparant ma figure flétrie et mes affreux cheveux gris à ta charmante figure.
Il me semblait que ton empressement à me fuir venait de ce que tu faisais de ton côté la même réflexion et alors je n’ai pas eu le courage de te regarder partir comme je fais toujours. Je suis rentrée dans mon cabinet et je me suis mise à pleurer tout mon saoul. Mais tu as été si bon, si doux, si tendre ce soir et si persuasif que la confiance m’est un peu revenue. Et maintenant je n’ai plus que le remordsd de t’avoir tourmenté injustement. Je t’en demande pardon à deux genoux et je t’aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 163-164
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « plus tôt ».
b) « l’autrefois ».
c) « passe ».
d) « remord ».

Notes

[1Dans le contexte de la lettre, les Iroquois semblent être les perruches de Juliette.

[2Périphrase désignant Mme Pierceau, qui meurt le 20 avril 1844 après plusieurs mois d’agonie.

[3Léopoldine, la fille aînée de Victor Hugo est morte le 4 septembre 1843. En ce début d’année 1844, il a perdu deux de ses amis : Charles Nodier, le 27 janvier, et le docteur Parent, le 6 février.

[4Juliette fait probablement référence au deuil douloureux de Victor Hugo quant à son ami M. Parent décédé le 6 février 1844.

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