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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Lundi 29 janvier [1844], 11 h. ½ du matin

Tu es étonné de ma paresse, mon cher petit bien-aimé, mais soit apathie soit malaise, je n’ai aucune activité matinale depuis quelque temps. Cette nuit en particulier j’ai eu beaucoup de coliques, ce qui a encore redoublé ma paresse naturelle. Je sens pourtant que je serais plus heureuse de vivre de la vie naturelle que de celle que je mène depuis quatre mois. Mais comme cela ne dépend pas de moi, je me laisse momifier sans résistance.
Tu dois être très près de cette cérémonie pénible [1]. Je voudrais qu’elle fût terminée car je crains pour toi cette nouvelle secousse. Dès que tu seras libre tu seras bien bon de venir me rassurer.
J’attends avec bien de l’impatience quoique je sache que tu ne pourras probablement pas venir du tout. Mais ce n’est pas ma faute, mon amour est plus fort que ma raison.
Je n’ai pas reçu de nouvelles de Claire, cela me tourmente car je lui avais recommandé de m’écrire hier. J’espère pourtant que M. Triger serait venu s’il y avait eu quelque chose de grave. Je me tranquillise avec cette pensée.
Mon Toto bien aimé, je t’aime. J’ai besoin de te le dire toujours comme j’ai toujours besoin de te voir. Ne t’occupe pas de mes tristesses et de mes plaintes, cela ne peut pas être autrement. Je t’aime, voilà tout ce que cela prouve.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 109-110
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette


29 janvier [1844], lundi soir, 6 h. ½

Je t’attends toujours, mon Toto, mais je ne t’espère pas. Ce sera une véritable surprise bien joyeuse pour moi si tu viens. Hélas ! C’est peu probable. J’ai une migraine atroce qui m’a commencé cette nuit. Dieu veuille qu’elle s’achève la nuit prochaine. J’ai ta montre avec les deux verres en cristal, déduction faite de celui qui restait, j’ai donné 7 f. J’espère que tu les casseras moins à présent, sans cela l’économie serait peu avérée. Je n’ai toujours pas reçu de lettre de ma péronnelle [2], ce qui me laisse toujours dans une espèce d’inquiétude agaçante.
Tout ce que je te dis là est bien intéressant et bien drôle, n’est-ce pas mon Toto ? Que veux-tu, je suis aplatie par le mal de tête et abrutie par le régime pénitenciera que je suis depuis quatre mois. Pour rester dans une espèce de calme apparent, je suis obligée de ne toucher ni à mon cœur ni à ma tête. Le premier est malade de trop aimer, la seconde est remplie de pensées tristes et folles. Aussi pour ne pas dire des extravagances et pour ne pas pousser des gémissements inutiles, je ne dis que des absurdités, cela vaut encore mieux peut- être. Quand tu liras cet informe gribouillis, je t’aurai vu, mon pauvre ange, et je serai moins malheureuse et moins éteinte qu’à présent. En attendant, je fais ce que je peux pour être raisonnable.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 111-112
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « pénitentier ».

Notes

[1Charles Nodier décède le 27 janvier 1844 et est enterré au cimetière du Père-Lachaise.

[2Sa fille, Claire Pradier.

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