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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 décembre [1843], samedi matin, 10 h.

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon cher petit adoré, bonjour, comment vont tes beaux yeux ce matin ? Je regrette de ne pouvoir te prêter les miens tout médiocres qu’ils soient, pour laisser reposer les tiens. Je regrette surtout de ne pouvoir pas t’être bonne à rien. Quand je compare ton dévouement de tous les instants avec mon inutilité, j’en suis honteuse et j’éprouve presque des remords ; cependant, ce n’est pas ma faute. Il est certain que, si au lieu d’être le plus grand poète du monde, tu étais simplement un bottier ou un perruquier, j’aurais appris à border les souliers [1] et à faire des chignons comme la mère Richi. Mais dans ton état je ne peux t’aider à rien. Voilà ce qui m’humilie et ce qui me tourmente. Cependant je sais suffisamment le latin, je ne sais pas à quoi cela tient... Que je vous voie vous moquer de moi, polisson et je vous reprendrai ma toquante et tout ce qui s’ensuit.
C’est ce soir que vient ma pauvre péronnelle. Il n’est guère probable qu’on la conduise chez son père encore aujourd’hui, aussi sera-t-elle triste la pauvre enfant. Je ferai ce que je pourrai pour lui faire prendre patience et surtout pour lui faire accepter avec joie les étrennes fantastiques de 1844. Quoi que tu en dises, mon Toto, c’est un peu dur de café pour une pauvre péronnelle qui n’a pas l’habitude de ce genre de régime. Moi-même, qui en fais usage depuis bientôt onze ans, je n’y suis pas encore habituée et je fais d’effroyables grimaces quand il me faut avaler la douleur, c’est-à-dire les ajournements indéfinis d’un plaisir ou d’un bonheur sur lequel je comptais. Cependant, mon cher adoré, je reconnais cette fois que ce n’est pas ta faute et que tu as tout fait pour ôter le pénible de la chose. Je t’en remercie du fond de l’âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 171-172
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette


16 décembre [1843], samedi soir, 6 h. ½

J’ai ma pauvre péronnelle auprès de moi toute joyeuse et toute rayonnante. Elle est heureuse, elle a bien travaillé. Elle m’a apporté un sachet ravissant avec prière de le garder, ce que je ferai au moins d’ici au jour de l’an et davantage si vous n’en avez pas besoin pour faire de [illis.] à des FAUMES. Elle m’a en outre fait des fleurs de papier qui ne sont pas trop mal pour un premier essai. Mais Lanvin qui vient de me l’amener viendra la chercher demain pour la conduire chez son père à midi.
Je te disais mon Toto que j’ai acheté tous les pénaillons de la mère Ledon et que je les ai payés, y compris cette fameuse dentelle idéale qui m’a fait cet éblouissant bonnet de voyage. J’ai payé le tout, dis-je, 2 francs, ce qui met les coupons à un bon marché excessif. Du reste elle m’a appris peu de nouvelles et je ne lui en ai pas demandé. Je n’ai pas besoin de te dire que c’est avec l’argent de Suzanne que je l’ai payée. Tu t’en doutes bien n’est-ce pas ? Et puis je t’écris toutes ces choses comme si je ne devais pas te voir avant que tu ne lises mes gribouillis et t’en parler déjà. Mais c’est l’habitude de te dire au fur et à mesure tout ce qui se passe chez moi et la pauvreté de mon imagination qui font que je te gribouille toutes ces billevesées. Je devrais n’écrire que deux mots sur ces quatre pages : je t’aime, je t’aime répété indéfiniment, ce serait moins bête.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 173-174
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Border un soulier : le garnir d’un ruban.

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