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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 décembre [1837], mardi matin, 11 h. ½

Bonjour mon petit homme chéri. J’espère que tu te portes mieux que moi. J’ai un mal de tête qui m’abrutit. Pauvre bien-aimé, je voulais t’écrire cette nuit. J’ai craint de te déplaire, je ne l’ai pas fait. Cela m’arrive souvent d’avoir le besoin de t’écrire après une journée pénible et triste. Quand tu m’apportes un peu de bonheur le soir j’ai le cœur si rempli et si reconnaissant que je t’écrirais des volumes pour te remercier.
Que tu étais beau hier. C’était à donner du désir à la vierge Marie. Moi qui ne suis pas la Vierge, j’aurais donné cent-huit sous pour vous avoir toute la nuit en ma possession. Depuis le temps que j’attends je n’espère plus. Je crois que c’en est fait de notre bonheur à présent et j’en suis au désespoir.
Je me suis promisa de ne plus parler de mes chagrins, ainsi parlons d’autre chose plus drôle si c’est possible. Oh ! que j’ai mal à la tête ! C’est déjà gentil ça. Je continue. Oh ! que j’ai mal dans le dos et la poitrine. Oh ! que c’est ennuyeuxb d’avoir à écrire à Mme Lanvin et Mlle Watteville surtout quand on est atteinte de crétinisme. Je ne suis pas beaucoup plus amusante dans ce style que dans l’autre. Je reprends mon premier et ancien refrain. Je t’aime mon Victor. Je sais que tu travailles, et pour moi encore. Je souffre de ne pas te voir parce que mon premier, mon unique, mon grand besoin c’est de te voir, c’est de t’aimer, c’est de te le dire.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16332, f. 186-187
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « promise ».
b) « ennuieux ».


19 décembre [1837], mardi soir, 8 h.

Vous ne voulez donc pas que je sois jalouse, mon cher petit homme ? Vous ne voulez sans doute pas non plus que je vous aime car l’un n’est pas possible sans l’autre. Depuis trois mois je fais des tristes réflexions sur notre liaison qui ne sont pas propres à me la faire aimer. Je commence à comprendre qu’il y a peu de profit à retirer d’un amour non partagé, et il ne me semble plus impossible de me passer d’aimer après m’être passéea d’amour. En amour comme en affaires il n’y a que les honnêtes qui ne réussissent pas. C’est triste mais cela est et ce qu’on a de mieux à faire c’est de se ranger parmi ceux qui réussissent. Il est peut-être un peu tard pour s’en aviser mais le proverbe dit et je le répète : vaut mieux tard que jamais. Tout ceci vous prouve mon Toto que je souffre un peu plus qu’à l’ordinaire puisque je me plains plus fort et plus haut. À qui la faute ? Je suis bien sûre que ce n’est pas à moi, c’est une triste consolation. N’importe. Et pour te prouver qu’il y a quelque chose de doux au fond de mon amertume, je mets là toute mon âme dans un baiserb.
Bonsoir cher bien-aimé. Tâche de reposer un peu. Je t’aime, va.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16332, f. 188-189
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « passé ».
b) La formule « toute mon âme dans un baiser », bien qu’écrite en plus petites lettres, est mise en exergue : comme flottant dans l’interligne, elle figure au centre d’un ovale qui, tel un calligramme, matérialise l’idée et en circonscrit la place sur la page.

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