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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 mars 1837

20 mars [1837], lundi matin, 11 h. ¾

Chère âme de ma vie, je veux te donner un petit bonjour à la hâte en attendant que je te donne ma pensée toute entière, sur le papier, car il me serait impossible de la distraire de toi une seconde. Que tu es bon de m’avoir lu cette nuit cette nouvelle merveille de ton génie. J’ai le cœur et l’esprit tout rempli d’admiration. Je ne sais plus reconnaître l’amour d’avec l’admiration, ces deux sentiments se confondent dans un seul, l’adoration. Vous êtes aussi mon Demi Dieu, ou plutôt mon Dieu entier, car vous êtes mon amant, c’est bien plus. Si j’avais de l’esprit, je vous expliquerais cela bien mieux. Quel dommage qu’on [n’] écrive pas avec l’âme seulement, je vous en apprendrais de belles sur votre compte. Enfin, comme je peux m’expliquer, je t’aime, je t’aime à n’avoir pas une seule pensée, un seul battement de cœur, un souffle qui ne soit à toi. Je suis en amour ce que tu es en poésie : la première, la seule, l’unique. Jamais homme n’a été et ne sera aimé comme toi. Jour mon Toto. Il me manquerait quelque chose si je ne t’avais pas dit ce petit JOUR et si je n’avais pas baisé tes belles mains et ton adorable bouche.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16329, f. 287-288
Transcription d’Érika Gomez assistée de Florence Naugrette


20 mars [1837], lundi après midi, 2 h.

Je viens de renvoyer Claire, mon cher petit bien-aimé, après l’avoir fait déjeuner. Je suis toute seule chez moi, c’est-à-dire dans la plus douce compagnie quand tu es absent ; ta pensée, je veux te la consacrer toute entière. Tu sauras donc, mon petit Toto, que je t’aime de jour en jour davantage. Mon amour n’est pas plante de serre chaude, mais un bon gros arbre bien robuste que les années doublent en vigueur et en beauté. Je parle de mon amour. Aussi, mon cher bien-aimé, je sens tous les jours que ses racines envahissent toutes les facultés de mon âme. Je n’ai plus rien à moi, tout est à mon amour. Je ne me plains pas de cet état, au contraire. Je trouve que je serais indigne de toi si je t’aimais autrement, mais tela que tu es aimé tu peux faire envie à Dieu.
Chère âme, quand tu te montres à moi dans toute ta splendeur rayonnante, mon esprit est tellement ébloui que l’instant d’après il ne distingue plus rien. Tout est mêlé et confondu. Les yeux qui fixent trop longtemps le soleil s’éteignent, l’âme qui s’approche trop près du génie brûle. Aussi mon esprit est-il plus obscur que jamais, et mon âme plus ardente que toujours.
Je sens que je t’aime encore plus, et j’éprouve encore plus de difficulté à te le dire.
Je t’aime trop.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16329, f. 289-290
Transcription d’Érika Gomez assistée de Florence Naugrette
[Souchon]

a) « telle ».


20 mars [1837], après midi, 2 h. ¼, lundi

Plus que cela de papier ! J’en userais bien d’autre si je voulais m’écouter, mais je me souviens que c’est vous qui sereza forcé de m’entendre, c’est pourquoi j’y mets de la discrétion. Oui, mon cher petit homme, je vais remplir toute cette grande feuille de mon amour seulement. C’est effrayant, n’est-ce pas ? Ce n’est au reste qu’une juste punition de votre absence. Vous savez bien que quand vous êtes là je ne songe pas à autre chose qu’à vous regarder, aspirer votre souffle. C’est donc votre faute et non la mienne et vous en subirez toutes les conséquences, c’est-à-dire quatre grandes pages de tendresse et d’adoration. Tant pis pour vous, je ne suis pas sensible.
J’espère, mon bien-aimé, que tu as pris un peu de repos cette nuit, car la matinée d’hier a dû se ressentir de mon insomnie. Je n’aime pas que tu te fatigues autant coup sur coup, et voilà à ma connaissance bien des nuits que tu passes sans dormir. Je sais bien que tu as plein de courage et de dévouement, mais la nature tôt ou tard se ressent de ces grandes vaillantises.
Je voudrais que tu fusses un peu moins généreux et que tu prisses un peu plus de soin de ta conservation. Il est malheureusement probable que tu ne tiendras aucun compte de ma prière et ma sollicitude, car tu n’es pas un homme à comprendre tout ce qu’il y a de triste et d’inquiétant à te savoir errant toutes les nuits par le temps qu’il fait, ou clouéb à ta petite table dans ton affreuse chambre carrelée et vernissée sans feu et sans flammes que celle de ton cerveau.
Si vous aviez un peu d’amour pour moi, mon Toto, vous seriez très longtemps sans rien faire… tu m’entends, car vous viendriez toutes les nuits vous reposer auprès de votre Juju, ce serait très doux et très gentil pour tous les deux et je n’aurais plus d’insomnie et je deviendrais grosse et grasse, et vous peut-être amoureux, qui sait ? En attendant je vous désire de toutes mes forces, je vous aime de toute mon âme et je vous baise de tout mon cœur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16329, f. 291-292
Transcription d’Érika Gomez assistée de Florence Naugrette

a) « serai ».
b) « clouer ».

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