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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 avril 1837

10 avril [1837], lundi matin, 11 h. ½

Bonjour mon cher bien-aimé. Comment va ta chère petite gorge ce matin ? Il fait un froid sterling et, pour peu que tu aies veillé cette nuit dans ta chambre sans feu, tu dois être bien malade ce matin, ce qui me tourmente beaucoup. Pauvre ami bien-aimé, quand donc serai-je une grande actrice gagnant beaucoup d’argent ? Si jamais cela arrive je serai doublement heureuse car je t’aurai rendu le repos et la santé. En attendant, pauvre ange, tu te tues et moi je me dessèche en vœux superflus. Ouf ! J’étrangle de froid ! pour parler le langage de Mlle Dédé. Le fait est qu’il fait un froid hideux et tout à fait [inconvenant  ?]. Cependant je dois avouer que si tu venais me prendre ce matin pour aller faire une petite excursion au bord de la mer je trouverais le temps ravissant et très doux. Ce que c’est que l’amour ! Malheureusement tu ne me feras pas cette surprise aussi je soufflea dans mes doigts de toute la force de mes poumons. Cher petit bien-aimé, c’est donc bien vrai que nous ne serons pas très heureux cette année comme les précédentes ? C’est donc bien vrai que tu ne me donneras pas un petit voyage grand comme ça ? Cependant ce ne serait pas une grande dépense ajoutée à celle ordinaire, l’argent de ma maison et l’argent que tu dépenses chez toi en y mettant bien de l’économie pourraientb suffire il me semble. Et si tu voulais… Enfin je sais bien qu’à ta place je n’y tiendrais pas, c’est que je sais aimer, MOI !
On vient de m’apporter des bottines que j’avais commandées pour Claire, nous serons forcés d’en avancer l’argent mais je les ferai porter sur le compte de Mlle Hureau si tu le jugesc convenable afindd’être plus sûrse de rentrer tout de suite dans ce peu d’argent dont nous avons le plus grand besoin. Je vais écrire à ma petite fille pour qu’elle fasse la lettre à Mlle Watteville, je suis même fâchée d’avoir oublié de lui répondre plus tôt à cette pauvre demoiselle. Je t’aime, mon cher bien-aimé, je t’aime bien plus que je ne peux te le dire. Cela se sent mais cela on ne le dit pas avec des mots. Si j’insiste autant pour notre voyage c’est que c’est le bonheur le plus grand et le plus entier que tu puisses jamais me donner, aussi j’y tiens comme à toi et bien plus qu’à la vie. Je t’aime mon cher adoré, je t’aime. Oh ! oui je t’aime !

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16330, f. 35-36
Transcription de Chantal Brière

a) « soufle ».
b) « pourrait ».
c) « juge ».
d) « à fin ».
e) « sûr ».


10 avril [1837], lundi après-midi, 3 h. ½

Ah ! Dieu qu’il fait froid ! C’est tout ce que je peux faire que de tenir ma plume, les fenêtres sont ouvertes pour faire le ménage. Avec cela que je viens de me blesser un peu au pouce droit en faisant ma lampe. Mais bah ! tout ça n’est rien si vous m’aimez et si vous venez tout de suite. Mon Dieu que je vous aime, mon cher petit homme, et que vous me le rendez peu, du moins en apparence. Peut-être m’aimez-vous en dedans, c’est le seul espoir auquel je m’accroche. Moi je vous en aime en dedans et en dehors, sur les côtés et partout. Voilà la différence. Ah ! voici le bon Dieu qui plume ses canards là-haut pour en faire un lit de plumes à la Terre. J’aimerais mieux autre chose qui nous ferait plus chaud. Dis donc, mon cher petit Toto, est-ce que tu me laisseras encore toute seule aujourd’hui ? Ce serait pourtant le moment de venir m’aimer et me consoler de toutes les absences que vous avez faites depuis 3 mois et plus. C’est pas beaucoup amusant d’aimer toute seule, il serait bien temps que dans ce duo vous fassiez votre partie, c’est-à-dire le second dessus [1]. Puisque vous voilà je vous aime, je ne grogne plus. C’était pas la peine de tant me réjouir puisque vous êtes déjà reparti quoique le baiser que je vous ai pris de force vaille mieux que rien. Je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16330, f. 37-38
Transcription de Chantal Brière

Notes

[1Partie vocale ou instrumentale la plus aiguë dans un ensemble polyphonique.

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