Guernesey, 30 mars 1859, mercredi, 7 h. ½
Bonjour, mon cher adoré ; bonjour, de tout mon cœur et de toute mon âme. Comment vas-tu ce matin, mon cher petit homme ? Cette affreuse nuit ne t’a pas empêché de dormir, je l’espère. Mais tu paraissais fatigué hier jusqu’à l’accablement et voilà ce qui m’inquiète. Je voudrais que ce fût déjà l’heure de te revoir pour savoir si tu vas mieux et si tu as bien dormi cette nuit. En attendant, j’ai déjà lu et relu le monstrueux Gaiffer [1]. C’est bien beau et bien horrible. Cette tour qui a pour fondements le vol Barabbas, la trahison Judas, le meurtre Caïn et le soupirail de l’ENFER pour ventilateur, c’est effrayant tant c’est vrai. Je n’ose pas épancher davantage mon impression parce que je sens que les mots, sinon les idées, me manquent absolument. Mais je te crie du fond de mon admiration : C’est beau ! C’est beau ! C’est beau ! Maintenant, mon grand petit bien-aimé, je te baise rétrospectivement depuis le commencement des siècles et par anticipation jusque dans l’éternité.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16380, f. 83
Transcription de Mélanie Leclère assistée de Florence Naugrette