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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 16 février 1859, mercredi matin, 9 h.

Bonjour, mon cher bien-aimé ; bonjour. Je t’aime, thème que mon cœur refait sans se lasser depuis vingt-six ans accomplis aujourd’hui même, donc il n’y a rien de changéa dans mon âme depuis le premier jour où je t’ai vu, il n’y a qu’une année d’amour de plus, voilà tout. Ce soir, nous fêterons ce jubilé de notre bonheur en compagnie de nos braves compagnons d’exil, renforcés de deux faisans car Préveraud, qui sort d’ici pour me remercier de mon invitation, m’apporte un second oiseau pour qu’il ne soit pas dit que notre goinfrerie ne bat que de DEUX AILES. Cet excès de gibier ne vient pas du Donjon [1], comme je le croyais, mais d’Angleterre, mais d’ici, mais de je ne sais d’où, ni de qui, ni de quand, ni de quoi. Qui sait ? peut-être de la dame Providence (y compris celle de Terrace [2]) qui aura voulu ASSISTER sous cette forme à notre petite fête de ce soir. Elle verra ce qu’il en CUIT. En attendant, je t’aime à ne plus penser à autre chose ni à ne savoir que dire en dehors de ce mot que je retrouve partout et dans tout : je t’aime, mon Victor, je t’adore, mon tout divin.

BnF, Mss, NAF 16380, f. 44
Transcription de Mélanie Leclère assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Pouchain]


Guernesey, 16 février 1859. Mercredi après-midi. 3h.

Je te remercie, mon bien-aimé adoré, d’avoir si bien écrit tout ce que mon cœur ressent pour toi et que je te bégaie dans des mots si confus chaque fois que je cherche à t’exprimer l’amour sans borne, la tendresse ineffable, l’admiration éblouie et le dévouement pieux que j’éprouve pour toi. Tout ce que tu viens d’écrire de si doux, de si religieux et de si charmant sur mon cher petit livre rouge [3], je le lis dans mon âme depuis le premier jour où je me suis donnée à toi. Merci, mon Victor adoré, d’avoir si bien traduit mon cœur par le tien. Sois béni de mêler dès à présent ma pensée à celle de ton ange du ciel, comme je le fais moi-même depuis que ma chère bien-aimée s’est envolée aussi vers Dieu. C’est à ces chères jeunes âmes que mon cœur confie toutes ses prières pour ton bonheur en ce monde et notre amour éternel dans l’autre. Cher bien-aimé, il m’arrive souvent, trop souvent, hélas ! de te tourmenter de mes craintes et de ma jalousie et je t’en demande bien sincèrement pardon. Je suis si effrayée de la disproportiona d’âge de mon corps et de mon cœur que je me prends à douter que tu puisses continuer à m’aimer, malgré ce travestissement caduc qui déguise trop bien la jeunesse ardente de mon amour. Pardonne-moi, plains-moi et aime-moi.

BnF, Mss, NAF 16380, f. 45
Transcription de Mélanie Leclère assistée de Florence Naugrette
[Pouchain]

a) « dispropotion ».
a) « changer ».

Notes

[1Préveraud est propriétaire au Donjon (Histoire d’un crime, Quatrième journée, XII).

[2Juliette fait peut-être allusion à la Dame Blanche qui s’est manifestée lors des séances de spiritisme à Jersey et qui, selon Adèle Hugo (Journal, 23 mars 1854), « pass[ait] pour être le démon familier ou l’ange gardien de Marine-Terrace », demeure de Victor Hugo sur l’île de Jersey. (50 ans de lettres d’amour, Lettres de l’anniversaire, par Gérard Pouchain).

[3Ce message, où Hugo rapproche ses deux principaux anniversaires, l’un, triste, la mort de Léopoldine, l’autre, joyeux, celui de leur première nuit (du 16 au 17 février 1833), est publié par Gérard Pouchain, 50 ans de lettres d’amour. Le Livre de l’anniversaire, ouvrage cité, p. 131, et par Jean Gaudon, ouvrage cité, p. 346.

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