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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 avril 1843, dimanche matin, 10 h. ¾

Bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour mon cher petit garçon, vous êtes bien revenu n’est-ce pas ? C’est beau de mentir la veille de Pâques, c’est un joli exemple que vous me donnez là n’est-ce pas ? Taisez-vous plutôt que de faire concurrence à M. [Toirac ?].
Quel beau temps mon amour, c’est indécent. J’espère que le bon Dieu se ravisera pour demain et qu’il fera pleuvoir et grêler la moitié de la journée. Sans cela c’est lui qui aura tous les torts et je me fâcherai avec lui. J’ai rêvé de la représentation cette nuit. Je ne peux pas te dire à quel point j’étais furieuse contre toi : tu avais fait un autre dénouement impossible comme on en fait en rêve, enfin j’étais furieuse contre toi. S’il faut en croire les pronostics de ce soir, la représentation de demain sera magnifique et me donnera autant de plaisir que j’ai fait de mauvais sang cette nuit. J’y compte bien.
Je n’ai pas pensé à te donner les 150 F. cette nuit dans le cas où tu en aurais besoin. Il est vrai qu’alors tu aurais pu venir les chercher ce matin, ce qui m’aurait donnéa du bonheur par la même occasion. Vous n’avez eu besoin ni de votre argent ni de mon amour et vous êtes resté chez vous. C’est très bête, voilà tout. Quand je ne vous vois pas j’éprouve le besoin de vous dire toutes sortes d’injures et de tendresses parce que je suis furieuse contre votre absence et que je vous adore nonobstant. Ces deux sentiments divers se mêlent et se tricotent ensemble plutôt agaçants qu’agréables et il y a des moments où je jetterais le manche après la cognée. Cela ne m’empêche pas d’avoir été très heureuse pendant notre petite promenade hier. Je me serais promenée toute la nuit sans m’en apercevoir tant j’étais heureuse de me sentir à ton bras. Depuis plus de dix années c’est un plaisir toujours aussi vif pour moi. Il est vrai que je ne l’ai pas beaucoup usé mais je sens que loin de diminuer, il augmenterait encore par la fréquence des occasions si quelque chose pouvait augmenter le bonheur que j’éprouve d’être avec toi. Je t’admire, je te regarde, je t’écoute, je t’adore. Je suis fière de toi comme si je t’avais fait. Il n’y a pas d’extase, il n’y a pas de ravissement qui me soit inconnu quand je suis avec toi. Aussi, mon cher adoré, c’est pour cela que je suis si triste quand je ne te vois pas ; la nuit est naturellement le contraire du jour et ton absence c’est ma nuit à moi.
Tu tiens ton gros Charlot dans ce moment-ci et tu le consoles avec ces bonnes caresses et ces bonnes douceurs que tu sais si bien donner et si bien dire. Je le vois d’ici revenir à la joie, ce pauvre bon Charlot, te sourire et te baiser de toute son âme. Je voudrais être à sa place et à celle de Toto et à celle de Dédé aussi. Je voudrais être tout ce qui t’approche et tout ce que tu aimes. Hélas ! je suis tout ce qui est loin de toi et la dernière parmi tes affections. Je le sais bien va mais cela ne m’empêche pas de te donner toutes mes pensées, toute ma vie, tout mon cœur et toute mon âme comme si je croyais être tout pour toi comme tu es tout pour moi. Je baise tes chers petits pieds et je prie le bon Dieu pour tous ceux que tu aimes.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 35-36
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

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