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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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6 avril 1843

6 avril 1843, mercredi matin, 10 h. ¾

Bonjour, mon Toto bien-aimé ; bonjour mon cher petit homme adoré. J’espère que tu vas venir bientôt et je m’en réjouis d’avance. J’avais envoyé prévenir les Lanvin ce matin qu’on leur porterait les billets tard et qu’ils eussent à revenir les prendre. Il paraît que le Félix [1] les attendait déjà et qu’il a dit à Suzanne qu’il était presque impossible de les placer si tard. Le fait est, qu’en cette circonstance comme dans toutes les autres, l’administration fait ce qu’elle peut pour nuire à la pièce, c’est mon opinion. Je suis furieuse contre le théâtre tout entier. Il est impossible de saccager et de galvaudera un succès comme ils l’ont fait. Certes, s’il y a incapacité, il y a encore plus de mauvaise foi. Il y a encore moins de bêtise que de perfidie dans toute la conduite de ce hideux théâtre. Le bon Dieu semble se repentir, un peu tard à la vérité, de la coalition avec Maxime et ses adhérents. Il a l’air de préparer un bon temps pour ce soir, nous verrons si ce ne sera pas un leurre absurde comme tous les autres.
En attendant, je t’attends, je te désire et je t’aime. Si tu vas décidément chez Duchatel ce soir je serai presque décidée à rester chez moi malgré tout le désir que j’ai de voir et d’entendre ces admirables Burgraves que je sais par cœur mais je suis si indignée dans le fond du cœur des menées perfides de ce théâtre que j’ai presque horreur d’y aller maintenant, surtout toi n’y étant pas ce soir. J’aime mieux relire ta pièce au coin de mon feu. Cependant, mon Toto, je ne refuse pas sérieusement, quelle queb soit mon antipathiec contre la déloyauté évidente du théâtre. Il y a le bonheur d’être avec toi le temps d’aller et de venir que je ne donnerais pour tous les chagrins et toutes les contrariétés de l’univers. Ainsi, mon Toto, je serai trop heureuse que tu veuilles bien m’emmener quitte à faire bien du mauvais sang tout le temps que tu ne seras plus avec moi.
J’ai hâte de savoir que mes pauvres goistapioux bas-bretons ont bien reçu ta pièce. Je suis si sûre qu’ils vont être les plus heureuses gens du Finistèred que je voudrais déjà qu’elle soit entre leurs mains.
Tu tardes bien à m’apporter ces billets, mon pauvre petit homme. Je doute que les Lanvin puissent s’en servir. Enfin je les leur enverrai à tout hasard. Mais si tu prenais quelque intérêt à ta pièce, tu exigerais que les billets te soient toujours envoyés la veille. Je t’assomme avec toutes mes réflexions. Je ferais bien mieux de les garder pour moi, n’est-ce pas ? Mais avec l’amour que j’ai pour toi il m’est bien difficile de me taire quand je crois savoir quelque chose qui peut te nuire. Pardonne-moi, mon Toto, mon excès de zèle et mon excès d’amour. Et tâche de venir bien vite et de ne pas aller ce soir chez Duchatel. Je baise tes quatre petites pattes blanches.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 11-12
Transcription de Olivia Paploray, assistée de Florence Naugrette

a) « gavaulder ».
b) « quelque ».
c) « anthipathie ».
d) « Finisterre ».

Notes

[1Employé à la billetterie de la Comédie-Française, à moins qu’il ne s’agisse du comédien Raphaël Félix, frère de Rachel.

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