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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 octobre [1843], lundi matin, 10 h. ¾

Pourquoi n’es-tu pas venu, mon Toto chéri ? Je sais bien que tu travailles une partie de la nuit. Je ne le sais que trop, mais cela ne devrait pas t’empêcher de venir me voir au contraire. Si tu m’aimes tu dois trouver du soulagement auprès de moi, des forces dans mes baisers, du courage dans mon amour. Je suis triste, mon Toto, car voilà plus de quinze jours que tu ne m’as donné cette joie de t’avoir un moment auprès de moi. Je sais que tu as des ouvriers chez toi qu’il faut que tu diriges. Mais tu aurais pu, si tu l’avais bien voulu, t’arranger de façon à venir sans que tes petits travaux intérieurs souffrent. Je suis triste dans le fond de mon pauvre cœur. Je sais que tu es un bon et noble cœur mais je ne suis plus assez sûre de ton amour. Mon Toto bien aimé, il ne faut pas me laisser plus longtemps dans ceta affreux doute. Si tu m’aimes il faut me le prouver autrement que par un dévouement sans borne. Il ne me suffit pas de voir l’homme généreux, je veux voir l’amant. Je veux voir mon Toto d’il y a onze ans, le Toto que j’adore de plus en plus. Je le veux, je le veux, je le veux, je le veux, je le veux. Quel ravissant portrait que celui de ce petit Toto et quelle adorable ressemblance avec toi ! Je donnerais une de mes mains pour que ce portrait fût à moi. Je les donnerais toutes les deux pour que cet enfant fût mon enfant. Que tu es heureux, mon adoré, d’avoir des enfants aussi ravissants. Pardonne-moi, mon adoré, de me laisser emporter par l’admiration et par le cœur à te parler de tes beaux enfants. Je n’oublie pas que ton pauvre cœur a une plaie vive. Mais il est impossible de ne pas te trouver le plus heureux des hommes quand on voit un seul de tes enfants. Donne-moi tes mains que je les baise. Donne-moi ton beau front et ta charmante bouche, que je les adore. Donne-moi ton cœur pour que je le calme en y versant tout mon amour.

BnF, Mss, NAF 16352, f. 237-238
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « cette ».


23 octobre [1843], lundi soir dix heures et quart

Je t’écris de douze heures en douze heures, mon Toto chéri, depuis quelque temps. C’est que je suis toujours très affairée dans mon taudis et quoique ma pensée et mon cœur soient toujours tournés vers toi, j’ai à peine un moment pour te le dire à cause de tous ces arias [1] de ménage et arrangements. Je pense pourtant qu’ils touchent à leur fin. Je n’aime les arrangements ou les dérangements, comme tu voudras les appeler, qu’avec toi. Malheureusement tu n’aimes pas à travailler pour moi. Tu me trouves trop grognon. Moi je trouve que je suis très aimable. Cela tient sans doute à ce que je suis heureuse et que je me figure que cela suffit pour me rendre aimable. Enfin, quoi qu’il en soit et quoi que tu en dises, je n’aime les tapissiers que sous votre enveloppe. Les autres m’ennuient et m’assomment et j’ai grand hâte que tout cela soit fini et rentre dans le silence accoutumé.
Je suis bien impatiente aussi d’apprendre que votre triquemaque de la place Royale est terminé. Depuis bientôt six semaines qu’il est commencé, je vous vois à peine. Tout votre loisir, toute votre imagination est employéea à cette fameuse décoration extérieure de sorte que c’est à peine si je vous vois une heure par jour. J’ai besoin de vous mon Toto. J’en ai même très grand besoin pour cogner autre chose que des clousb, quoique vous vous en acquittiez très bien. Devinez pourquoi j’ai besoin de vous : pour vous aimer et pour vous baiser.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 239-240
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « employé ».
b) « cloux ».

Notes

[1Arias : désordre, occupation ménagère.

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