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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 septembre, samedi matin, 8 h. ¾

Bonjour, mon bien-aimé, bonjour, mon Toto chéri. Comment va ton pauvre œil et ton pauvre genoua ? Quand je pense à ce qu’aurait pu être cet accident si Dieu n’avait pas eu pitié de nous, j’en suis toute effrayée et toute bouleversée. Nous sommes dans une veine d’affreux malheur, mon pauvre adoré, c’est pour cela que je te conjure à genoux d’avoir de la prudence en toute chose. [illis.] Mais, mon adoré, si tu étais malade loin de moi ? Je n’ose pas y penser, la crainte seule m’est insupportable.
Tu as vu, mon pauvre bien-aimé, comment je faisais ton [illis.] et te frictionner avec. Ce soir je t’en ferai pour ici.
C’est bien long, mon Dieu, d’attendre jusqu’à ce soir pour savoir comment tu vas. Le bon Dieu n’est pas juste de séparer deux [causes  ?] qui s’aiment tant. Je ne vois que par toi et que pour toi, mon bien-aimé. Juge de ce que je dois souffrir loin de toi, surtout quand je te sais triste et souffrant. Soigne-toi bien, mon Toto adoré, ne fais pas d’imprudence. Tâche de venir bientôt et aime-moi. Je le mérite bien, va.
J’ai envoyé ton paquet tout de suite ce matin chez la mère Lanvin. J’ai voulu que ces pauvres gens profitent de ta bonté tout de suite. Pauvre ange, quand j’y pense, apporter cet énorme paquet toi-même et blessé encore. Je suis pénétrée d’admiration, de respect et d’adoration, mon Victor si doux et si noble. Ne fais pas attention à la manière dont je t’écris tout ce que je sens pour toi, mon adoré. Je ne sais pas me servir des mots mais les saints et les anges ne sauraient mieux aimer Dieu que je ne t’aime.
Je baise ton pauvre œil et ton pauvre genoua.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 143-144
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « genoux ».


23 septembre, samedi soir, 7 h. ¼

Que tu es bon, mon adoré, d’être venu tout à l’heure, que je te remercie et que je t’aime, mon cher, cher, toujours plus cher bien-aimé. Ta pauvre petite jambe ne me paraît pas pire qu’hier et quanta à ton œil, j’espère que d’ici à deux ou trois jours ce sera passé. Ce qui me tourmente bien sérieusement, mon cher adoré, c’est l’abattement dans lequel je te vois. Ce soir tu avais tes pauvres petites mains brûlantes et quoi que tu en dises, mon Toto, je crois que tu as de la fièvre. D’ailleurs toute ta ravissante petite personne est tellement dévastée par le chagrin qu’il est impossible de ne pas s’apercevoir que tu souffres et que tu t’abîmes dans ta douleur au-delà des forces humaines et au-delà de la raison. Que deviendrontb ceux qui t’aiment, que deviendrai-je moi, mon adoré, si tu tombes malade ? Par pitié pour moi, mon cher ange, aie pitié de toi-même et ne te laisse pas aller au désespoir et au dépérissement comme tu le fais. Tous les jours nous rapprochent de la bien-aimée que nous regrettons. Peut-être sommes-nous plus proches de la revoir que nous ne le pensons. Il faut donc avoir du courage et de la résignation. Tu l’as dit bien souvent : le bon Dieu sait ce qu’il fait et s’il le fait, il n’a pu vouloir que le bonheur de ta fille adorée et bientôt le nôtre aussi. Celui-là, rien ne le troublera plus, je l’espère ; nous ne nous quitterons plus jamais et je pourrai t’aimer sans contrainte, mon pauvre adoré, pendant toute l’éternité. En attendant, je souffre avec toi et je t’adore, mon pauvre ange bien-aimé.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 145-146
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « quant à ».
b) « deviendrons ».

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