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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 septembre, jeudi matin [illis.] h. ½

Bonjour, mon cher bien-aimé adoré, bonjour, je t’aime. Est-ce que c’est bien vrai que je te suis nécessaire et que je compte pour quelque chose pour toi dans la vie, mon adoré ? Ô dis-le moi souvent mon Victor bien-aimé car j’ai bien besoin d’y croire. Sois béni, mon pauvre ange, pour ta bonté ineffable et pour tous ceux dont tu es le bonheur et la vie.
Je me suis éveillée plusieurs fois cette nuit, sans pourtant que je crusse que tu viendrais. Mais le besoin de te voir est si grand qu’il persiste malgré le sommeil et malgré la certitude que tu ne viendras pas. Le moindre bruit m’éveillait comme si je t’avais attendu. Pauvre petit homme, tu as oublié ta muleta et tes gants cette nuit mais sans aucun profit pour moi puisque tu n’es pas revenu les chercher.
Je voudrais bien pouvoir t’aider à ranger ton cabinet et ta bibliothèque. Quelle [orgie  ?] je ferais dans tous ces papiers, dans toutes ces [laques  ?], dans toutes ces chinoiseries et dans tous ces penaillons de toutes les espèces. Quel cinq pour cent je prélèverais sur toute cette poussière et sur tout ce [illis.] ! Vous le savez bien et c’est pour cela probablement que vous ne voulez pas de mes services. Taisez-vous, c’est vrai et je suis forcée de convenir que vous avez raison car ce serait effrayant le ravage que je ferais dans vos nippes et ce que j’emporterais dans mon clocher. Heureusement pour vous que votre prudence vous préserve de ce danger. Je ne vous en fais mes compliments qu’à regret et je vous baise des millions de milliers de fois pour me venger de vous.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 135-136
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette


21 septembre, jeudi soir, 6 h. ½

Sens-tu mon âme autour de toi, mon adoré ? Sens-tu que je t’aime ? Sens-tu que ma vie est en toi ? Le sens-tu, toi, mon pauvre cher adoré ? Je pense à toi sans distraction, je te désire exclusivement, je t’aime, je t’aime, je t’aime.
Je n’osais pas trop compter sur toi dans la journée, mon Toto chéri, parce que je connais ta répugnance à sortir dans le jour dans ce moment, que je comprends, et que je la partage mais pourtant, par l’excessif besoin que j’ai de te voir, je l’espérais un peu, mon cher bien-aimé. Voici la nuit close. Est-ce que tu ne viendras pas auparavant le dîner m’apporter ta chère petite bouche à baiser ? J’ai bien travaillé toute la journée, mon cher petit. Claire est allée chez son père à midi et la mère Lanvin n’a pas voulu rester à dîner. M. Pradier, cela va trop sans dire, a chargé sa fille de mille compliments affectueux pour moi et pour toi.
J’oubliais de te dire que j’ai reçu une lettre décachetée par un homme qui voulait une réponse absolument et que cette lettre était écrite par un espèce de Robert Macaire [1] que j’avais connu chez sa mère, notre voisine de [illis.], à l’âge de treize ou quatorze ans. Du reste, ce drôle n’avait pas osé l’apporter lui-même et en avait chargé un ami à peu près du même genre que lui. Je l’ai reçu devant ma fille comme je le devais et je ne pense pas qu’il se refrotte à revenir une autre fois. Tu verras la lettre et je t’expliquerai tout cela en détail.
Je t’entretiens de toutes ces choses parce que tu veux, mon Toto, car autrement cela n’a pas d’importance.
Dépêche-toi de venir, mon Toto adoré, que je te caresse, que je te console, que je t’inonde de mon amour au dehors et au dedans. En attendant, sois béni, mon Toto adoré, et embrasse pour moi nos enfants bien-aimés. J’ai besoin d’aimer ce que tu aimes.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 137-138
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Robert Macaire, héros du mélodrame L’Auberge des Adrets (1823) et de sa suite Robert Macaire (1834) est un personnage d’escroc florissant interprété par Frédérick-Lemaître.

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