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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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17 septembre, dimanche soir, 7 h. ¾

Je n’ai pas pu t’écrire ce matin, mon adoré, parce que Lanvin et son cousin sont venus et qu’il m’a fallu les observer, les conseiller et les aider. Tout cela n’a duré rien moins que jusqu’à la nuit close, alors je me suis lavé les mains et j’ai dîné avec ma fille. Maintenant, je viens d’écrire la dépense et tout à l’heure, on fera mon lit.
Je te dis tout cela, mon pauvre adoré, pour t’expliquer comment il se fait qu’étant l’unique occupation de mes pensées, mon souci et mon bien, je ne t’ai pas écrit plus tôt. Enfin m’en voilà quitte ou à peu près mais cela n’a pas été sans peine.
Comment vas-tu mon pauvre ange ? Comment as-tu passé la nuit et la journée ? Comment va toute ta chère famille ? J’espérais que tu viendrais un peu avant le dîner mon pauvre adoré et j’ai fait force de rames pour renvoyer les Lanvin de bonne heure, c’est-à-dire avant le dîner. Tu n’es pas venu mon cher petit mais j’espère que cela ne cache aucun nouveau chagrin ? Que Dieu te protège toi et les tiens, mon pauvre amour, car je ne sais pas ce que je deviendrais si je te voyais souffrir comme je l’ai déjà vu. Pauvre bien-aimé de mon âme, puissesa-tu n’être plus jamais éprouvé par aucun malheur [1]. C’est ma prière de tous les jours et de tous les instants.
J’ai hâte de te voir mon Toto chéri. Je regarde la pendule et je soupire parce que ce n’est pas encore l’heure où tu as coutume de venir. Cependant, mon cher petit homme, tu n’es pas venu du tout de la journée, il serait donc juste de venir plus tôt ce soir. J’ai beau me raisonner, je ne puis pas m’empêcher d’avoir de l’inquiétude sur toi et sur les tiens. Tu serais bien bon et bien tendrement récompensé, mon amour, si tu venais tout de suite.
Ma Clairette m’a aidée aujourd’hui dans tous les arias [2] de ma maison. Pauvre enfant, il me semble que sa figure a gagné depuis hier l’expression tranquille, loyale et heureuse que je lui désirais voir depuis si longtemps. C’est à toi qu’elle la devra, mon cher amour, mon ange gardien, mon bien-aimé si généreux, si doux et si indulgent. Ta bonté se communique jusqu’à moi et elle m’a fait suivre une règle de conduite avec cette pauvre enfant que je n’aurais peut-être pas saisie si j’avais été livrée à ma seule nature. Sois béni, mon cher amour, autant que tu es aimé.
Je voudrais bien te voir mon Toto chéri car ma journée a été bien longue de toutes les manières. Mon cœur a faim et soif de toi. Tâche de venir bien vite. En attendant, mon Toto chéri, je baise tes chers petits pieds.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 121-122
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « puisse-tu ».

Notes

[1Victor Hugo est en deuil de sa fille Léopoldine, morte le 4 septembre, noyée dans la Seine, tandis que Hugo était en voyage avec Juliette.

[2Arias : occupation, désordre.

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