Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1843 > Septembre > 16

16 septembre, samedi matin, 8 h.

Bonjour mon cher cher toujours plus adoré Toto. Comment vas-tu mon pauvre bien-aimé ? Je pense à toi, je rêve de toi, je vis pour toi et en toi. Pense à moi aussi si tu peux et aime-moi si tu veux, que je vive.
Je suis un peu souffrante ce matin mais ce ne sera rien. Je t’écris de mon lit où je suis encore quoique je suis réveillée depuis 6 h. Mais j’ai eu une grande conversation pleine de tendresse, de larmes et de repentir avec ma pauvre fille qui m’a écrit une lettre que j’ai trouvéea en ouvrant ma porte. Pauvre enfant, que Dieu la conserve et la bénisse.
Comment va ta petite Dédé, mon cher amour ? Comment vont-ils tous ces pauvres chers enfants, et toi, mon Toto, comment vas-tu, comment supportes-tu ton chagrin, mon cher adoré ? Est-ce que je ne verrai pas quelques minutes dans la journée, mon Toto ?J’ai bien besoin de forces et de courage, mon Toto, est-ce que tu ne viendras pas m’en donner ? Mon Victor bien-aimé, pense un peu à moi et aime-moi.
J’attends tous les Lanvin ce matin. Peut-être ne viendront-ils pas, les pauvres gens car ils sont tous dans un triste état de santé. Mais dans le cas où ils viendraient, j’aurai toujours une pièce libre pour te recevoir, mon bien-aimé. Je t’enverrai ton sac de nuit tantôt et si tu es chez toi, tu pourras renvoyer l’autre par la même occasion. Pourquoi ne puis-je pas te le porter moi-même ? Je te verrais et je serais heureuse. Oui, mon pauvre ange, malgré l’affreuse tristesse dont mon cœur est plein, dès que je te vois, il me semble que c’est le paradis qui s’ouvre pour moi. Je suis heureuse.
Je t’aime, mon Toto, je t’adore, mon cher petit homme. Toute ma vie est en toi, c’est bien brai. Oh ! oui, c’est bien, bien vrai. Ne sois pas malheureux, mon adoré, ne souffre pas. Regarde autour de toi tous ceux qui t’aiment et dont tu es la joie et la vie et sois, sinon consolé, du moins calmé et résigné.
Je baise tes pauvres yeux mouillés. Je baise ton pauvre cœur oppressé. Je baise tes divines mains, je baise tes pieds ? Je voudrais baiser la place où ils se posent.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 117-118
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « trouvé ».


16 septembre, samedi soir, 8 h.

Que tu es bon, que je t’aime mon Toto adoré, que tu es doux et charmant pour la pauvre femme qui t’aime à genoux, mon Toto adoré. Je voudrais avoir ton génie pour te dire comment je t’aime et combien je t’aime, mon beau, mon noble, mon bien-aimé Victor. Je t’aime de tous les amours à la fois avec la sollicitude d’une mère, le regret d’une fille et l’admiration et l’adoration de la femme, l’enthousiasme et l’extase d’un ange ; je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime.
Tout à l’heure, je te voyais lumineux et phosphorescent comme la mer le soir. Tu étais beau et sublime et je te regardais avec mon âme comme on doit regarder Dieu au ciel dans toute sa gloire. Mon Victor adoré, je t’aime. Je suis toute à toi et tout me vient de toi. Je t’aime.
Si je te dis mal ce que je sens, pense que j’ai le délire à force de t’aimer et que je n’ai plus la conscience des mots que j’emploie pour t’exprimer un amour qui n’a pas son pareil sur la terre.
Oh ! Tu as bien fait de venir tout à l’heure. J’étais si malheureuse toute la journée. J’ai eu, je crois, la fièvre très fort car je brûlais et mes jambes ne pouvaient pas me porter. Je suis encore très brûlante et très courbaturée ce soir mais je t’ai vu, je t’ai vu, je suis heureuse, d’un bonheur triste mais ineffablement bon et doux. Mon Victor bien-aimé, il faut vivre pour notre Dédé. Il faut en avoir bien soin et ne pas la faire souffrir ce pauvre ange. Je lui donne Cocotte de tout mon cœur. Pauvre petite cocotte, elle sera bien heureuse et je suis sûre que Dédé l’aimera quand elle connaîtra sa douceur et sa bonté. Je voudrais lui donner ma vie comme à toi à cette chère petite bien-aimée si elle pouvait lui être bonne à quelque chose. Je l’aime comme ma fille, ma pauvre grande fille qui m’a écrit une si bonne lettre ce matin. Et toi je t’adore mon Victor ravissant.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 119-120
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne