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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 27 février 1853, dimanche matin, 8 h. 

Bonjour, mon doux adoré, bonjour mon beaucoup trop aimé petit homme, bonjour, avec tous les sourires et toutes les espérances du soleil, du printemps, de la confiance et de l’amour, bonjour. Comment as-tu passé la nuit ? As-tu enfin pu dormir un long somme ? Il serait bientôt temps que tu te reposassesa, dût Mr Bonaparte crever de joie. Quant à moi, au risque de mériter et de gagner sa subvention, j’insisterai de toutes mes forces pour que tu te reposes le plus tôt et le plus longtemps possible. Car avant la patrie, la république, la liberté et le progrès, ce que j’aime par-dessus tout, avant tout et après tout, c’est toi. Je trouve que tout cela en bloc ou en détail ne vaut pas une seule de tes nuits d’insomnie ni un seul de tes cheveux. Aussi, ce n’est pas moi qui ferai jamais du patriotisme aux dépensb de ta santé et de ton repos. Je l’avoue sans regret et sans honte. Il est vrai que mon opinion n’influence pas beaucoup la tienne et qu’elle ne t’empêchera pas de te brûler le sang et de risquer ta vie dans un travail opiniâtre et dévorant. Je ne le sais que trop, mon pauvre adoré, et je n’en suis pas plus tranquille pour cela. Seulement je tâche, à force d’amour, d’éloigner de toi toutes les mauvaises chances. Je voudrais pouvoir te faire une cuirasse d’amour à l’épreuve de tous les maux de ce monde.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 207-208
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « reposasse »
b) « au dépend ».


Jersey, 27 février 1853, dimanche après-midi, 4 h. 

À quoi donc pensenta ces affreux démagogues de se réunir aujourd’hui par ce beau temps [1] ? Encore s’ils ne t’obligeaient pas à faire comme eux, cela ne me ferait rien, mais c’est de penser que tu vas t’enfermer dans un bouge malsain pendant que le soleil fait des coquetteries au printemps, c’est pour en jaunir d’impatience et de rage. Je voudrais ne pas tomber dans les rabâcheries antidémocratiques, aussi j’abandonne ce sujet pour un plus agréable et beaucoup plus doux. Je voudrais, comme souvenir spécial et personnel de mon séjour au Havre-des-Pas, avoir ton portrait dans les grands rochers qui sont là-bas en face mes fenêtres. Ils sont très beaux et d’une très belle couleur aussi et ils ont de plus pour moi que je les connais mieux que ceux des proscrits [2]. Tu devrais tâcher de diriger un jour Victor [3] de ce côté et de lui en faire faire une vue pour moi. Il me semble que c’est possible. Dans ce moment-ci ils sont tout à fait à secb et éclairés d’une manière ravissante. Il n’y manque que ta chère petite image pour en faire le point de vue de prédilection de mes yeux et l’habitation la plus sympathique de ma pensée. En attendant je l’envoie au-devant de toi pour te presser de revenir le plus vite possible auprès de moi. Et puis je t’adore pour suppléer à ta présence. Justement te voici, quel Bonheur ! L’canapé roule n’y a pas besoin de le porter, bis, rebis et ter.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 209-210
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain
[Souchon, Massin, Blewer]

a) « pense »
b) « à secs »

Notes

[1La Société fraternelle organise un bazar au bénéfice des proscrits les plus démunis. Les républicains de Caen ont fait acheminer par l’intermédiaire d’Edmond Bacot une caisse de marchandises.

[2« Des fenêtres de Marine Terrace, Victor Hugo peut voir sur la droite la Roche Besnard qui va devenir le Rocher des Proscrits, lieu de rassemblement des nombreux exilés de l’île. Un poème des Années funestes intitulé « « Bord de mer » ou « Le Rocher des proscrits –Jersey » le présente ainsi : “[…] Un mont de roche à pic sur la plage s’élève / La route qui descend des plaines à la grève / Ouvre en la rencontrant les deux bras de l’Y grec / Par où les chariots vont chercher du varech […]”. Ses fils […] ont pris de nombreux clichés du poète sur ce rocher, symbolisant la solitude du proscrit et sa détermination […] », Gérard Pouchain, Dans les pas de Victor Hugo en Normandie et aux îles anglo-normandes, Éd. Orep, 2010, p. 56-57.

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