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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 12 janvier 1853, mercredi matin, 9 h.

Bonjour, mon bon petit homme, bonjour, bonne nouvelle et bon Charlot [1] aujourd’hui, je l’espère. Mais jusque-là tâche de venir me voir un peu car il n’est guère probable que tu en aurais le temps ce soir si les nouvelles de France, le retour de Charles s’ajoutaient au dînera chez Téléki. Aussi je te prie, mon bon petit homme, de venir avant et après ton déjeuner si tu en as le temps, car ce seront peut-être les seuls instants que tu pourras me donner aujourd’hui.
Je viens de voir le boucher. Je me suis informée auprès de lui s’il allait exactement chez vous. Il m’a répondu qu’il avait envoyé quelqu’un hier à sa place, n’ayant pas avec lui la viande qui aurait pu vous convenir, qu’il allait y aller ce matin, mais que Madame ferait bien de lui faire ses commandes d’avance pour être plus sûre de ne jamais manquer et d’être mieux servie. Je te transmets ce conseil pour que ta femme en profite si elle le juge bon. Dans tout cela, je n’ai qu’une pensée, c’est de vous épargner le plus d’ennuis possibles. C’est aussi une manière de t’aimer encore davantage et Dieu sait si j’ai besoin de prétextes supplémentairesa pour y mettre le trop-plein de mon cœur que je laisse déborder jusque sur ton absence pour n’en pas perdre une goutte.

Juliette.

BnF, Mss, NAF 16373, f. 43-44
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « suplémentaires »


Jersey, 12 janvier 1853, mercredi midi

Je ne sais rien de ce qui se passe à la mer, mon pauvre bien-aimé, mon propriétaire n’étant pas encore revenu chez lui ; mais je ne crois pas qu’il soit arrivé aucun bateau et qu’il y en ait de signalé. Il y a déjà eu plusieurs grosses bourrasquesa, depuis ce matin, mais tout est bien calme maintenant, ce qui fait espérer une bonne traversée pour ce soir. Pauvre adoré, tu sais pourquoi je m’occupe avec tant d’insistance des phénomènes météorologiques ? C’est que je sais ton Charlot1 en train de revenir et peut-être tout près d’arriver. Aussi, mon cœur va de toi à lui et de lui à toi, à travers toutes les brusques évolutions de la vague et des vents. Je donnerais tout au monde pour qu’il fûtb déjà auprès de vous et pour qu’il pûtc prendre ce soir sa part du pulchéroTéléki. Mais d’ici là, mon cher petit homme, tu serais bien gentil de venir me rabibocher de tous les sacrifices de bonheur que j’ai faits dans l’intérêt de tes devoirs et de ta tranquillité, dans ceux du pauvre petit Toto deuxième [2]. J’aurais besoin d’un peu de [illis.] pour me faire reprendre haleine et courage. Vois si tu ne peux pas m’en apporter un peu tantôt. En attendant je te baise à babordd et à tribord. Et je t’attends à toutes voiles.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 45-46
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « bourasques ».
b) « fut ».
c) « put ».


Jersey, 12 janvier 1853, mercredi soir, 10 h.

Cher petit bien aimé, ne te tourmente pas. Je sens à l’état de mon cœur qu’il n’y a rien d’inquiétant dans le retard du bateau poste. Je t’aime, je prie et j’espère. Sois donc tranquille, mon adoré bien aimé, et profitea sans remords du pauvre petit moment de distraction qui s’offre à toi. Demain, probablement, vous aurez des nouvelles et peut être même le brave Charlot [3] en personne. D’ici là, tâche de consoler et d’éclairer ton petit Toto [4] le plus que tu pourras et pense un peu à moi qui ne vis que pour t’aimer.
J’étais bien en train de travailler ce soir mais mon défaut de mémoire et l’incomplète manière de prendre mes premières notes font que je n’ai pas pu continuer à mon grand désappointement. Mais, demain, je te prierai de fixer mon incertitude sur deux ou trois détails, après quoi je reprendrai mes travaux pour ne plus les quitter puisqu’ilsb ne doivent finir qu’avec moi. Aussi, pour ne pas perdre mon inspiration, je vous gribouille ce petit bonsoir que je voudrais pouvoir transformer pour vous en bonne nuit, en doux rêve, et en heureux réveil. Pauvre bien aimé, quand je pense que tu rentreras tard, mouillé peut-être, et que tu te coucheras dans des draps froids et humides, cela me rend malheureuse et je me reproche de ne pas avoir encore trouvé le moyen de te servir à ton insuc avec le secours de Brahma [5], Brahma des croquignolesg et des rossignols. Décidément, je ne suis qu’une bête doublée d’une voleuse, si j’en crois mon vertueux épicier. Mais cela ne suffit pas pour faire mon bonheur même dans une île et pour te tenir les pieds chauds et le ventre sec. Change, change-moi, Brahma, Brahma, pour que j’aille faire du feu à mon petit Toto et pour que je le borde dans son affreux lit dur ce soir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 47-48
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « profites ».
b) « puisquils ».
c) « insue ».
d) « croquignolles »

Notes

[1Après avoir reconduit Anaïs Liévenne à Paris où ils sont arrivés le 5 janvier 1853, Charles est attendu à Jersey.

[2François-Victor Hugo (1828-1873).

[3Charles Hugo (1826-1871) de retour de Paris où il a reconduit Anaïs Liévenne.

[4François-Victor Hugo (1828-1873).

[5Brahma : divinité hindoue représentée avec quatre faces et deux paires de bras ; son animal support est une oie.

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