16 mai 1842

16 mai [1842], lundi matin, 9 h. ¼

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon amour chéri. Comment vas-tu mon adoré ? J’espérais que tu viendrais cette nuit et tu n’es pas venu, méchant, c’est bien mal à vous, au train dont vous y allez nous n’augmenterons pas beaucoup ta famille. Vous avez bien tort car nous ne nous aimerons jamais plus jeunes. Baisez-moi mon Toto et pensez à ce que je vous dis là, c’est plus pressé que ça n’en a l’air. Baisez-moi encore. Je vais écrire tout à l’heure à la Druidesse pour tâcher de ravoir mon bois de lit et les livres égarés. Entre nous je crois que la péronnelle poussera la méchanceté jusqu’à ne rien rendre et que j’en serai pour mes frais de rédaction. Enfin je vais essayer après nous verrons ce que nous aurons à faire. Je n’entends pas parler de M. Pradier quoiqu’il soit à Paris mais ces jeunes Lanvin sont tellement éclopés, dispersés et occupés qu’ils ne peuvent plus veiller à cela. C’est bien ennuyeux et bien malheureux pour nous et pour l’enfant mais comment faire ? Je ferai écrire par Claire, il me semble que c’est le moyen le plus simple et le plus naturel ? Au reste nous en causerons ensemble. Si tu peux me faire sortir aujourd’hui ne m’en fais pas faute, la mère Pierceau attendra bien. Je laisserai d’ailleurs Claire à la maison ce qui ne demandera pas mieux, attendu que j’ai découvert sans le vouloir, une SURPRISE qu’elle me fait pour ma fête et qui, comme toutes ces surprises de petites filles n’a pas grand sel ; enfin c’est égal, une petite absence de moi lui servirait bien et l’empêcherait d’avoir recours aussi à la baronne de Montoliaou [1] pour achever son entreprise. Si ce n’est pas pour moi, que ce soit pour elle. Venez mon Toto le désiré, venez mon Toto l’attendu, venez mon Toto le bien-aimé, venez mon Toto le chéri, venez mon Toto l’adoré. Je vous baiserai bien, je serai bien aimable, je serai bien jolie, bien jeune, bien joyeuse et surtout bien heureuse. Si vous ne venez pas après tout ça, avouez que vous êtes le plus bête, le plus stupide, le plus froid, le plus racorni et le plus méchant des hommes. En attendant baisez-moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16349, f. 45-46
Transcription de Ophélie Marien assistée de Florence Naugrette

16 mai [1842], lundi soir, 10 h.

Mon cher bien-aimé je t’ennuie, je te tourmente, je te fatigue avec toutes mes histoires de famille et d’intérieur mais c’est que je suis bien tourmentée et bien inquiète moi-même, mon cher bien-aimé. Non pas que cette pauvre enfant soit décidément méchante, au contraire. Mais ce désordre, cette paresse, cette insouciance me désespèrent. Enfin il ne faut pas que tu en pâtisses toi mon pauvre adoré, si propre, si coquet, si doux et si ravissant. Je baise tes chers petits pieds, je baise bien autre chose encore, je baise tous tes os mon pauvre amour. Tu vas venir bientôt, n’est-ce pas, mon petit homme ? On ne fera cependant cuire les asperges que lorsque tu seras là parce qu’alors elles seraient froides ou trop cuites. Pauvre Toto tu n’auras pas un fameux dîner, cela me contrarie, pour une pauvre petite fois que tu viens ça n’est vraiment pas la peine de te faire manger du vieux rogaton du dîner d’hier. Mais pourquoi aussi que tu ne peux pas le dire plus tôt vilain monstre ? C’est bien fait tu n’as que ce que tu mérites, j’en suis bien aise. Non, eh bien non, mille fois non, j’en suis très fâchée. Je voudrais te donner mon cœur à manger, rien n’est trop bon pour toi, tu es mon cher amour que je baise et que j’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16349, f. 47-48
Transcription de Ophélie Marien assistée de Florence Naugrette