30 juin 1870

Guernesey, 30 juin [18]70, jeudi, 1 h. ½ après midi

J’avais tant à cœur de mettre tout mon monde à l’œuvre chez toi dès le matin, mon cher petit homme, que je me suis privée de ma cher petite restitus en sortant du lit. Cela m’apprendra à faire trop de zèle. Une autre fois je ne m’y laisserai plus prendre car rien n’est plus bête que de se casser le nez sur une superbe inertie qui ne se prête même pas au service qu’on veut lui rendre. Ne va pas croire pour cela que je suis camouflée dans mon orgueil de petite cinquième roue à ton vieux carrosse car il n’en est rien et je serai toujours prête à tout, et même à rien, quand et comme tu voudras. EST-CE CLAIR ? Je n’ai pas pensé à te dire que dans l’énorme tas de lettres que je t’ai rendues tout à l’heure se trouvait celle de ton fils Victor [1] contenant les photographies de M^me Charles. Je t’en avertis pour que tu penses à la reprendre séance tenante si déjà elle n’est pas tombée trop loin dans tes profondes. Je n’ai pas eu le temps non plus de te faire remarquer qu’il serait utile d’habiller petite Jeanne un peu plus chaudement que de coutume parce que le vent était très fort et un peu frais. La nourrice, et au besoin M^me Chenay, songeront^b d’elles-mêmes. Et puis d’ailleurs il sera encore temps d’aviser au moment d’entrer dans la voiture. Hein ? Ai-je assez bourdonné et ronronné ma petite roue ? Et encore je n’ai pas dit le plus essentiel qui est ceci : JE T’ADORE.

BnF, Mss, NAF 16391, f. 179
Transcription de Jean-Christophe Héricher assisté de Florence Naugrette

a) « autrefois ».
b) « songerons ».