9 septembre 1870

Paris, 9 septembre [18]70, vendredi, 2 h. après-midi

Si j’en juge d’après le nombre de personnes qui viennent ici demander à te parler tu dois être assailli chez toi et ne savoir auquel répondre. Aussi, mon pauvre bien-aimé, je n’ai pas assez de tendresse pour te plaindre autant qu’il le faudrait, mais j’ai assez d’amour pour t’aimer et pour t’admirer autant que tu le mérites. J’ai à peine dormi cette nuit tant j’étais sous le charme admirable de ta magnifique lettre aux Allemands. Que c’est grand, que c’est beau, que c’est tendre, que c’est sublime ! C’est le cri unanime de tous ceux que j’ai vu ce matin et le nombre en est assez grand. Je te les nommerai quand tu auras le temps de m’écouter. J’ai promis à Vilain d’aller déjeûner chez lui demain à 11 h. à la condition d’être de retour à 1 h. après midi chez moi. À propos de déjeûner, Petit Georges m’a fait l’honneur de partager le mien ce matin. Tu juges si j’étais contente. Petite Jeanne, retenue par les soins de sa toilette, n’est arrivée que pour la poire, sans fromage. Dans ce moment il y a réunion de petite famille chez Madame Martez. Les enfants de M^me Féval et les tiens se livrent à une joie désordonnée pendant que leurs parents déjeûnent au cabaret. Leurs petits cris de gaîté me traversent le cœur comme des étincelles et me fait regretter doublement que tu ne sois pas là pour en jouir à ton aise. Hélas ! je n’ose pas espérer te voir avant l’heure lointaine du dîner. Je m’y résigne autant que je le peux en pensant au bien que tu fais et au mal que tu empêches et puis je t’adore.

MV-MVH, Villequier, Inv. n° 1959.7.1[171]
Transcription de Marie-Jean Mazurier