8 mai 1872

Paris, 8 mai [18]72, mercredi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon cher bien-aimé, et bonne nuit aussi n’est-ce pas ? Autrement cela ne vaudrait pas la peine de trimer comme nous l’avons fait hier, en compagnie de la pluie, à la ville, à la campagne, en voitures et en wagons pour ne pas dormir à poings fermés [1]. Pensant que tu avais eu assez d’exercice comme cela et sachant que tu n’avais pas ta clef pour rentrer puisque Mariette l’avait laissée pour qu’on te la remette le soir quand tu reviendrais, j’ai fait courir la jeune Lanvin [2] après toi te la porter, mais tu n’étais pas encore à la maison. Ce que voyant, la susdite Lanvin a fait lever Mariette pour lui donner la clef et l’avertir qu’elle eût à t’ouvrir quand tu sonnerais. Toute cette complication aurait été très simplifiée si tu étais sagement allé te coucher comme un honnête homme. Cela dit je passe à d’autres guitares. Autre embarras tant il y a encombrement de cet instrument interlope. J’aime mieux y renoncer et conserver ma bonne humeur au souvenir de la belle et bonne journée que nous avons eue en dépit du mauvais temps dans ce doux et hospitalier intérieur Pierre Véron. Quant à moi je suis très touchée de leur gracieux accueil et je sais gré à cette jeune femme de mener de front avec tant de grâce les devoirs de la mère de famille avec ceux de la femme du monde la plus raffinée, la plus lettrée et la plus intelligente. Merci, mon bien-aimé, de notre bonne journée. Je t’aime.

BnF, Mss, NAF 16393, f. 128
Transcription de Guy Rosa