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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 décembre [1839], midi ¾

Bonjour, cher petit bien-aimé, tu auras une paire de bottes dans une heure, à ce que m’a dit Suzanne, mais tant qu’elle ne sera pas chez moi, j’en douterai. Il paraît que c’est tout bonnement le jour de l’an et les nouvelles pratiques qui sont cause que tu as tes chers petits pieds mouillés depuis quinze jours. Je me propose de tancer vertement le Dabat à ce sujet à fin que ça n’arrive plus. Le serrurier n’est pas encore venu et moi j’ai mal à la tête. Je ne sais plus quand je te verrai ; à présent, tes soirées se passent en visites et tes nuits à travailler. Je comptais encore sur les matinées mais il paraît que tu les as confisquées aussi pour une de ces deux choses ou peut-être pour toutes les deux, ce qui n’est pas impossible. Du reste, je sens que nos instants doivent t’ennuyera ou au moins te fatiguer et je m’en veux de le faire. C’est bien malgré moi, je t’assure, et il ne faut rien moins que la tristesse excessive qui m’oppresse loin de toi pour me faire oublier les belles résolutions de courage, de dignité, et de résignation que je prends avec moi-même. Je t’aime trop, mon Toto, pour le peu de bonheur que tu me donnes. Je suis absolument comme ce pauvre Claude Gueux, j’ai toujours faim. La ration que tu me donnes ne me suffit pas : à peine mon âme l’a-t-elle dévorée qu’elle en voudrait une autre, j’ai faim et je souffre. Je t’aime trop, mon Toto. Pense à moi si tu peux au milieu de tout ce monde et de toutes tes occupations, pense à moi, plains-moi et aime-moi. Moi je devrais me défaire de ne m’occuper que de toi, de ne désirer que toi et de ne savoir vivre et sentir que par toi. Jour Toto. Toto est bien i mais il est encore plus rare. Je voudrais le baiser, mon Toto. Je l’aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 207-208
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « t’ennuier ».


27 décembre [1839], vendredi soir, 4 h. ¼

Il fait un peu beau, je suis prête depuis longtemps mais je sais bien que je ne sortirai pas et je m’estimerais trop heureuse de pouvoir compter te voir à coup sûr avant [1 h  ?] du matin. Le bottier n’a pas encore apporté les bottes malgré la promesse expresse qu’il avait faite de les apporter à 2 heures de l’après-midi au plus tard. Le serrurier, plus exact, est venu, il a posé les deux serrures, quant aux ferrures, il n’a pas pu s’en procurer mais il rajuste la tienne et cela ne va pas mal. J’ai moi-même arrangé les tiroirs pour le coup d’œil, les vieux en bas et les neufs en haut. Tu pourras la faire porter chez moi quand tu voudras. J’ai profité du serrurier pour faire arranger les serrures de la vieille commode et du vieux petit meuble en acajou pour y enfermer les papiers à toi et à moi qui ne doivent pas traîner ni rester à la merci de la curiosité de la bonne. Quel ennui que ce hideux bottier ne vienne pas, je suis vraiment en colère contre lui et je ne serais pas fâchée que tu puisses en avoir un autre plus exact, ne fût-ce que pour punir celui-ci. Jour Toto, je vous aime. Jour, mon adoré. Jour onjour. Baisez-moi, vieux scélérat. Vous m’abandonnez à mon impatience et à mon amour, c’est très mal, et je devrais vous en punir en vous aimant moins mais hélas… C’est impossible et je vois bien qu’il faudra que je meure avec ce mal-là et pour peu qu’il y ait une seconde vie, j’emporterai le mal avec moi. Tout cela est fort triste. Au train dont vous y allez je vous vois à peine et toujours excédé, préoccupéb, fatigué et ennuyéc, c’est fort triste, fort triste. Je t’aime, mon Victor, je t’aime de toute mon âme. Tâche de venir tout de suite me redonner un peu de courage et de bonheur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 209-210
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « pusse ».
b) « préocupé ».
c) « ennuié ».

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