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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 août [1839], vendredi matin, 10 h.

Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour, mon Toto. Comment vas-tu, mon petit homme ? Comment va ta tête ? Comment va toute ta chère petite personne adorée ? J’ai peu dormi cette nuit et j’en suis bien aise parce que j’ai pu penser à toi sans en perdre une goutte, ce qui vaut mieux que de dormir. Je me réjouis en pensant que tu es à ton troisième acte et que nous allons être bientôt partis. Je n’ose plus te demander de me rien lire car cela te fatigue et te contrarie. Tu ne me trouvesa pas un auditoire assez intelligent, et ce n’est pas à moi à prouver le contraire. Je t’aime mais cela ne suffit pas, aussi je me résigne comme je peux. J’attendrai que tu me dises ce que tu veux que je sache mais je ne te demanderai rien. Je vous aime, mon Toto, je vous adore, mon petit homme. Baisez-moi, aimez-moi si vous pouvez et tâchez d’avoir fini bien vite pour que nous nous en allions aussitôt. J’ai encore un rude assaut à soutenir le jour où tu iras à la distribution des prix. Je vais comme les gens condamnés par les médecins et qui essaientb chaque jour de nouveaux remèdes qui avancentc leur mort. Seulement c’est toi qui les essaiesd et c’est moi qui mourrai, quand et duquel, je ne le sais pas. Mais je sens très bien que ne m’aimant plus et te trouvant souvent dans le monde avec des femmes nouvelles et HABILLEES, je dois succomber dans la lutte dans un temps très court. Cependant je ne veux pas avancer mon agonie par la peur de la mort, je garde tout cela en dedans de moi et je ne te montre que mon amour qui me survivra peut-être.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16339, f. 235-236
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « trouve ».
b) « essaie ».
c) « de nouveau remède qui avance ».
d) « essaie ».


16 août [1839], vendredi soir, 6 h. ¾

Je t’aime, mon Toto, ne sois pas malade surtout et aime-moi. Je suis bien contente que tu n’aillesa pas à cette distribution, cela me tourmentait plus que je n’osais te le dire. Je sais mieux que personne combien tu es entouré de tentations de toute espèce, aussi suis-je toujours au martyre chaque fois que tu me quittes. C’est souvent, n’est-ce pas ? À propos, vous ne m’avez pas parlé de VANDAMBURG, c’est ce soir qu’ils débutent tous ensemble, l’homme et les animaux [1]. Je ne pense pas que vous y alliez, mais il est probable que toute votre maisonnée y va et vous auriez dû profiter de cela pour souper avec moi. Je vous aurais bien dorlotéb et vous auriez eu de jeunes adoratrices DU SOLEIL pour vous servir à table et pour vous baiser les mains. Vous êtes une bête. À votre place, je n’aurais pas manqué cette occasion de combler de joie et de bonheur la Juju qui vous aime de toute son âme.
J’ai un horrible mal de tête qui me rend stupide, je ne sais qu’y faire. Je vais essayer si le dîner me calmera mais vraiment il est hideux de souffrir comme cela sans pouvoir soulager son Toto. Comment va ta chère petite tête à toi ? Il serait juste qu’elle ne te fasse plus de mal car je souffre pour deux au moins. Je t’aime plus que plein mon cœur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16339, f° 237-238
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « n’aille ».
b) « dorlotté ».

Notes

[1Juliette Drouet fait allusion à la pantomime qui est donnée au Théâtre de la Porte-Saint-Martin dans la seconde quinzaine du mois d’août 1839, La Fille de l’émir, écrite et interprétée par Isaac A. Van Amburgh (1808-1865) qui est considéré comme le premier dompteur de l’histoire du cirque aux Etats-Unis. Le Monde dramatique du 8 septembre 1839 commente, dans un article intitulé « M. Van Amburgh et sa Ménagerie », cette pantomime où apparaissent des lions, des tigres, des léopards. Théophile Gautier l’évoque dans son Histoire de l’art dramatique en France depuis vingt-cinq ans (p. 288 et sq.) :« [...] Tout Paris avait dîné de meilleure heure, de peur d’arriver trop tard à cette fête digne de la Rome des Césars. Les équipages, les cabriolets, les fiacres accouraient de tous les coins de la ville. Personne ne voulait manquer une soirée où l’on avait chance de voir manger un homme [...]. L’angoisse serrait toutes les poitrines, le sang refluait à tous les coeurs. »[Note de Gérard Pouchain.]

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