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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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15 août [1839], jeudi matin, 10 h. ¼

Bonjour, mon cher petit bien-aimé. Bonjour mon adoré. Pardonne-moi mes fanfaronnades de cette nuit, j’en suis honteuse et ma forfanterie se réduit à ceci : me SAUVER dans un coin inconnu plutôta que de m’imposerb à toi dans tes œuvres ou dans ton [amour  ?]. Je ne me suis jamais fait illusion sur le degré de confiance que tu avais dans mon intelligence, aussi ne suis-je que peu ou point désappointée de ce qui m’arrive au sujet de ta pièce et des divers rôles de femmes qu’elle contient. Ce qui m’exaspère et me rend stupide, c’est de voir que je ne suis pas aimée comme j’aime. C’est de voir que de toutes les illusions du cœur, il ne t’est resté que le dévouement. Pendant que moi, [les miennes ?] sont plus vives et plus enracinées que jamais. Le Bon Dieu n’est pas juste et les félicités éternelles de l’autre vie ne valent pas la perte de ton amour dans celle-ci. Je sais bien ce que je dis, je ne me trompe malheureusement pas. Tu es sur le point de ne plus m’aimer. Ce que je ferai, ce que je deviendrai le jour où tout sera fini, je ne le sais pas mais ce sera bien fini.
En attendant, je ne te parlerai plus de rien de tout cela. La pièce, les rôles et moi pouvons devenir ce qu’il te plaira [1]. Je ne m’en mêle plus. J’ai bien assez de souffrir et de t’aimer comme une [illis.]. Et ta tête, comment va-t-elle ? Ne sois pas malade, mon Dieu, il ne me manquerait plus que cela.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16339, f. 231-232
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « plus tôt ».
b) « t’imposer ».


15 août [1839], jeudi soir, 4 h. ¾

J’aurais eu bien besoin de te voir aujourd’hui, mon Toto, encore plus qu’à l’ordinaire si c’est possible car je suis triste et découragée au fond de l’âme et prête à jeter le manche après la cognée. C’était encore ta fête aujourd’hui, mon amour, MARIE [2] est votre patronne, vous êtes prédestiné car vous avez les plus beaux noms du calendrier et les plus puissants dans le paradis. Et je crois plus que jamais à l’influence des noms. Le mien n’est pas celui que je donnerais pour porter bonheur à personne. Je t’aime, mon Toto. À présent, tu fais peu de cas de mon amour mais moi je t’aime comme si cela pouvait te rendre le plus heureux des hommes. Je t’aime. Je t’aime. J’ai reçu une lettre de Mme Krafft. Je ne l’ai pas ouverte, de sorte que je ne sais pas si elle vient dîner ou non si Mme Pierceau viendra. Il est impossible d’y mettre plus de scrupule que je ne fais. Au reste, cela ne m’avance pas à grand-chose et je n’ai que le regret de t’aimer avec conscience. Je suis tourmentée encore à ton sujet : tu étais bien souffrant hier, je ne t’ai pas vu de la journée et peu s’en faut que mon inquiétude ne se change en chagrin. Il ne me manquerait que ce malheur, ce serait la fin de la fin, par exemple. Je ne suis plus capable de supporter de pareilles angoisses. Je t’aime, va.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16339, f. 233-234
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

Notes

[1Juliette espère en vain depuis des années retrouver le chemin des planches dans une pièce de Victor Hugo.

[2Marie est le second prénom de Victor Hugo.

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