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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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17 décembre [1836], samedi matin, 11 h. ¾

Vous êtes un drôle de corps d’amoureux, vous, il faut en convenir. Comment la chose si bien ébauchée cette nuit, vous n’avez pas voulu la finir. En vérité, en vérité je vous le dis, vous êtes un drôle de corps et encore un plus drôle d’amoureux.
Cher petit homme, tu as travaillé encore toute la nuit et puis tu te seras senti fatigué, et puis tu te seras couché sans avoir la force de venir retrouver ta Juju.
Eh ! bien je ne t’en veux pas, j’ai presque du bonheur à penser que tu t’es reposé. Si je pouvais même, j’en aurais de la joie, mais mon cœur se refuse à cet effort. Je ne peux avoir de joie et de bonheur que de ta bonne petite personne dans mes bras. Le reste n’est plus que de la résignation plus au moins bien déguisée.
J’ai rêvé de toi toute la nuit, j’ai eu des accès de jalousie effroyables, j’espère que ce n’est qu’un rêve.
Ah ! ça je vais manger un bon petit café dont je ne devrai compte à personne tant pis pour les gueulards qui ne sont pas à leur poste. D’ailleurs, si je suis malade, c’est vous qu’en répondrez devant Dieu et devant les hommes. Car vous saviez le moyen de m’empêcher de commettre cette infraction à mon régime. Mais vous ne m’aimez plus, et vous n’êtes pas capable même d’un acte de dévouement. Aussi c’est bon, c’est très bon, les princes du sang…… de…… ne sont pas morts du choléra. Je ne vous dis que cela en vous embrassant particulièrement sur ce qui vous sert de joue.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16328, f. 249-250
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette


17 décembre [1836], samedi soir, 4 h. ½

Mon cher petit homme, je vous aime. Je ne sais pas comment je vous le dis, mais je sais ce que je sens au fond de l’âme. Pour moi l’amour n’est pas l’art de parler et d’écrire correctement comme avec la grammaire. Bien au contraire, je ne suis jamais plus à court d’expression que quand je veux dire beaucoup.
Je ne suis jamais plus bête que lorsque j’ai de bonnes idées pleine la tête, enfin je ne suis jamais plus absurde et plus stupide que quand je suis heureuse et rayonnante au-dedans de moi. C’est pas ma faute et il ne faut pas vous moquer de moi, vous qui êtes la cause de tout ce bouleversement.
Je vois qu’il faut me préparer à être seule toute la soirée. C’est juste. J’ai été trop heureuse hier pour l’être aujourd’hui. Il ne faut pas me laisser prendre de mauvaises habitudes avec le bonheur, parce qu’enfin on ne sait pas jusqu’où cela irait si on n’y prend pas garde.
Vous êtes parti hier sans vous asseoir dans mon beau fauteuil. Quand je vous le disais que le vendredi portait malheur vous en êtes témoin. Aussi, pour combattre la mauvaise influence, je veux que vous fassiez une cérémonie religieuse dedans aujourd’hui même, si vous venez, parce que je veux le consacrer de toute éternité, parce que je vous aime et parce que vous êtes mon Toto adoré.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16328, f. 251-252
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette


17 décembre [1836], samedi soir, 5 h. ¾

Sois-moi bien fidèle, mon adoré, car il y va pour moi bien plus que de ma vie, de mon bonheur.
Je me suis donnée toute à toi sans restrictions, extérieures ni intérieures. Je suis tout en toi et à toi et, si tu me manquais, je ne saurais plus où poser ma vie. Je pleure en t’écrivant cela mon adoré, parce que je me sens sans armes et sans défense contre les séductions qui t’assiègent de toutes parts.
Je t’ai aimé sans prévoyance, sans garder aucun des avantages que je t’ai laissés tout entiers. Cette confiance me venait de ton amour autant que du mien.
Mais, aujourd’hui, quoique je t’aime autant et plus qu’autrefois, je suis pleine de doutes et d’inquiétudes.
D’où cela vient-il ? Mon Dieu, est-ce que tu m’aimerais moins, c’est-à-dire plus du tout, parce que le moins en amour, c’est moins que rien ou plutôt c’est le désespoir et l’enfer ?
Tout m’alarme, tout me semble menaçant pour mon bonheur. C’est pour cela, mon bien-aimé, que je te conjure au nom de tout ce qui t’est cher, au nom de mon amour si pieux et si dévoué, de ne pas seulement éviter le danger, mais de le fuir. Sois sûr, mon adoré, qu’il y a quelque chose de plus qu’une sotte jalousie dans les angoisses de mon pauvre cœur. Si ce n’est pas un pressentiment, c’est au moins une voix amie qui me dit de veiller et de faire bonne garde pour ce qui me tient plus au cœur que la vie.
De ton côté, tu peux te reposer sur moi du soin de ta dignité en toute circonstance et vis-à-vis de tout le monde.
Je t’aime, mon Victor, avec adoration, mais je t’admire et je te respecte autant que je t’aime.
Quand te verrai-je, mon Toto ? Tâche que ce ne soit pas dans trop longtemps, quoique le plus tôt soit toujours le trop longtemps pour moi.
En t’attendant, je vais ranger ma maison et travailler à mon petit coussin et à ma tapisserie. Hélas ! J’aimerais bien mieux vous baiser, sauf vot’respect.

Juliette

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