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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 27 sept[embre] [18]72, vendredi matin, 6 h. ½

Bonjour, mon cher grand bien-aimé, je t’adore. Je ne trouve pas dans ma pensée ni dans mon cœur autre chose à te dire ce matin. Je voudrais pouvoir, au prix de ma vie, que tes chers petits-enfants ne te quittent pas aujourd’hui et je demande à Dieu ardemment de te les rendre le plus tôt possible. J’ai le cœur serré en pensant à ce que leur départ va te faire souffrir, non seulement aujourd’hui, mais tous les autres jours jusqu’à ce qu’ils te soient rendus. Je m’en veux de n’avoir pas su trouver le moyen de les retenir auprès de toi et je suis humiliée de l’impuissance de mon amour à te préserver de tous les chagrins de cette vie. Mon pauvre adoré, je t’aime mais je sens bien que cela ne suffit pas pour t’empêcher d’être le plus malheureux des pères en ce moment. Je suis sûre que, comme moi, tu n’as pas dormi cette nuit. J’étais à mon poste d’observation avant six heures, espérant te voir attacher ta serviette [1] mais ma mauvaise chance fait que l’instant d’aller de mon cabinet à ma chambre je t’ai manqué de quelques secondes. Encore une petite goutte de tristesse ajoutée à celles qui me noient le cœur ce matin. Si encore elles diminuaient d’autant les tiennes, loin de m’en plaindre, je les bénirais mais il n’en est rien, hélas ! Je ne me connais pas au temps mais il me semble que tout pluvieux qu’il soit ce matin la mer n’est pas mauvaise. Tant mieux pour les chers petits qui n’auront pas à souffrir de la traversée. Je crois que je ne pourrai pas résister au douloureux plaisir de les embrasser encore une fois avant leur départ. Mon pauvre cher adoré, je t’en supplie ne soit pas trop malheureux. Tu verras comme je t’aime et comme je les aime, ces chers petits-enfants, nous les aimerons ensemble à l’envie l’un de l’autre et nous nous ferons un bonheur de nos douleurs. Pardonne-moi mes incohérences. J’ai l’esprit trouble comme le cœur mais je t’adore à rendre Dieux jaloux.

BnF, Mss, NAF 16393, f. 268
Transcription de Bulle Prévost assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Voir Torchon radieux.

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