Guernesey, 20 août [18]72, mardi matin, 7 h.
Bonjour, à toi, mon bien-aimé, bonjour, à vous, mon adoré, que la santé et le bonheur soient avec toi et avec tous ceux que tu aimes voilà mon oraison dominicale. J’espère que tu as eu une meilleure nuit que la mienne, mon cher adoré, et je m’en réjouis. C’est bien le moins que le bon Dieu t’épargne les misères dont il comble la pluparta des mortels. Il est vrai qu’il te fait payer ton admirable santé par tant de déboires, de soucis et de chagrins qu’il n’y a pas beaucoup lieu de t’en féliciter. Dieu est le maître usurier qui prélève toujours de forts acomptes sur tous les biens qu’il vous prête. Témoin ce qui t’est arrivé dans la nuit de samedi dernier. D’après ce que j’ai appris hier il s’en est fallu de peu que la scène de Bruxelles ne se renouvelle [1]. Et cela avec la même impunité imbécileb de la part des Guernesiais comme de celle des Belges. Même inintelligence et même lâcheté ici que là-bas panachée d’une noire ingratitude en plus dont se tatouent à plaisir les stupides naturels de cette Ile charmante. Ils ne se contentent pas d’être plus bêtesc que nature ils ambitionnent encore d’être odieusement mauvais et ils y réussissent. Je baise tes pieds avec vénération. Je t’admire et je t’adore.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 231
Transcription de Bulle Prévost assistée de Florence Naugrette
a) « plus part ».
b) « imbécille ».
c) « bête ».