6 avril [1842], mercredi matin, 10 h.
Bonjour mon Toto bien aimé. Bonjour mon Toto chéri. Bonjour, tu es le plus adoré et le plus adorable des hommes. Bonjour je t’aime. Voici un bien beau soleil, mon chéri, et qui fera du bien à tous mes Toto grand et petit. Moi je souffre toujours les mêmes douleurs dont je me plaignais dans ma maladie et mon estomac est très douloureux ce matin [1]. Je ne sais à quoi cela tient, car je ne fais excès de rien. Peut-être précisément cela tient-il à ma trop grande sobriété en tout, c’est à toi à savoir ça et à y remédier. Toujours est-il que je souffre beaucoup ce matin et que je ne sais comment me tenir pour t’écrire pour ménager mon ventre et mon estomac. Ce serait fort bête et fort ennuyeux s’il fallait recommencer les remèdes et le régime. Je voudrais bien essayer du GRAND REMEDE, j’ai comme une idée que cela me guérira et d’ailleurs cela me sera infiniment agréable et doux. Qu’ena dites-vous, mon Toto ? Essayons toujours, l’essai n’est pas dangereux. En attendant, pauvre adoré, tu travailles toujours comme un petit cheval sans t’arrêter et sans te plaindre tandis que moi je ne fais rien et je grogne. J’en suis honteuse vraiment. Comment faire, mon Toto, pour être bonne et pour être utile ? Tu devrais me l’enseigner et je ferais avec joie ce que tu me dirais. Mon Toto chéri, je t’adore. Je t’aime de toute mon âme, je voudrais baiser tes pieds. Je te désire et je t’attends, mon Toto, tâche de venir bien vite. Pense à moi et aime-moi.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16348, f. 245-246
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « Quand ».
6 avril [1842], mercredi soir, 6 h. ¾
Je t’ai vu partir avec un sentiment indicible de regret et de tristesse, mon adoré. Tu ne peux pas savoir, mon Toto, à quel point ma vie, ma joie et mon bonheur sont avec toi, [illis.] si tu le savais tu comprendrais mon découragement, mon désœuvrement et mon chagrin dès que tu n’es plus avec moi. J’ai un pressentiment que je ne vivrai pas longtemps et cette pensée me donne encore plus d’impatience, sinon plus d’amour, d’être avec toi, de te voir, de te posséder, de t’admirer, de t’adorer. Je sais bien que tu travailles, mon pauvre amour, je ne le sais que trop [2]. Aussi n’est-ce pas un reproche que je te fais, c’est une plainte sur l’affreuse nécessité qui t’oblige à travailler sans relâche pour moi [3]. Mon pauvre adoré, je t’aime trop, je ferais mieux de t’aimer moins, mais ce mieux-là est tout bonnement impossible, il faut m’accepter comme ça, mon adoré, avec ton indulgence et ta bonté accoutumée et m’aimer d’autant plus que je souffre. Quand te verrai-je mon Toto ? Pourvu que ce soit bientôt. En attendant, je baise tes petits pieds ravissants.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16348, f. 247-248
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette