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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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9 novembre [1835], lundi matin, 9 h. ½

Bonjour, mon adoré, bonjour, mon cher petit juif errant. Comment que vous allez, mes deux chers petits Toto [1] ? Je suis bien tourmentée de savoir que tu n’as pas dormi encore cette nuit, pauvre ange. À 3 h. du matin, ne s’être pas couché du tout, c’est affreux. Mon bon petit homme, si tu étais bien gentil et si tu m’aimais, tu t’arrêterais un peu dans ton ardeur de travail car vraiment, tu m’inquiètesa et je crains tous les matins quand je m’éveille d’apprendre que tu es malade. Et si cette crainte se réalisait jamais, je ne sais pas ce que je deviendrais. Aussi, mon cher petit homme bien aimé, je te prie et je te supplie de ne pas tant te fatiguer et de prendre quelques jours de repos.
J’ai toujours mon mal de tête. Je ne sais à quoi attribuer leurs fréquentes et longues apparitions. Peut-être est-ce au chagrin que j’ai eu depuis quelques jours. Mais cependant, avant j’avais aussi ces mêmes maux de tête, donc ce n’est pas là la vraie cause. Il fait encore bien gris et bien mauvais aujourd’hui, ce qui n’est pas amorçant pour une promenade. Mais si tu veux venir de bonne heure et rester avec moi longtemps, cela me fera plus de bien que la promenade dans la boue. Car toi tu es mon grand air, mon soleil, mon ciel, ma joie et ma vie.
Tâcheb donc de venir bientôt, tréteauxc, et je te baiserai bien comme je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16325, f. 100-101.
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « tu m’inquiète ».
b) « tâches ».
c) « trétaux ».


9 novembre [1835], lundi soir, 8 h. ¼

Je vous dis que vous ne viendrez pas de bonne heure, vieux mâtin, vieux sien [2]. Vous m’attrapez toujours comme ça mais je ne vous crois plus à présent. D’ailleurs, je suis un vrai MUNITO [3] moi, pour deviner quelle EST CELLE QUI EST LA PLUS AMOUREUSE DE NOTRE SOCIETE. Je n’ai donc pas besoin d’aller voir celui en poil et en os du Café Turc.
Du reste, je vous fais bien la nique. En fait de chandelier, le mien est des plus originaux qui se puisse voir et c’est bien agréable d’être éclairéea par des Chinois dans ce siècle de ténèbres où chacun de nous brûle la chandelle par les deux bouts.
Je suis plus que certaine maintenant que vous ne viendrez pas et même que vous n’avez jamais songé à venir. Allez, c’est honteux d’employer de pareils moyens pour se faire aimer. À votre place, j’aimerais mieux être un vrai CANICHE que de faire une NICHE à une pauvre femme qui ne vous a jamais forcé de jouer aux dominos.
En attendant minuit moins un quart, je vous donne la patte et mon cœur.

J.

BnF, Mss, NAF 16325, f. 102-103
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « éclairé ».

Notes

[1François-Victor Hugo, lui aussi surnommé Toto, est malade.

[2« Sien » : déformation de « chien ».

[3Munito était un chien savant, dressé par Castelli d’Orino, ancien militaire italien. Ce caniche présentait de nombreux talents comme en témoigne la Notice historique sur la vie et les talens du savant chien Munito (1820) : « Ce chien sans pareil […] entend également bien les langues française, italienne et allemande. […] il prouve qu’il connaît toutes les cartes d’un jeu complet, toutes les lettres de l’alphabet, tous les nombres de l’arithmétique, tous les points des dominos et toutes les nuances des couleurs, en les apportant au commandement ; mais encore il devine et apporte les cartes, qui, mêlées dans un jeu par différentes personnes, et tirées par d’autres, sont ensuite étalées et couvertes sur le parquet ; il regarde la couleur d’un vêtement, et apporte à son maître la nuance même, si elle existe parmi les échantillons qui sont placés devant lui, ou la plus approchante, si elle ne s’y trouve pas. Il lit toutes les écritures ; mais, privé du secours de la parole, il fait, avec les lettres imprimées que l’on met à sa disposition, une copie des mots qu’on lui présente, ensuite il joue une partie de dominos avec la personne qui veut bien lui procurer ce petit délassement. ». 

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